Faire marcher un paraplégique ? Mon handicap sans tabou

Récemment des scientifiques franco-suisses ont mis au point un système robotique qui permet à une personne paraplégique de remarcher en contournant la lésion de la moelle épinière au moyen d’électrodes qui envoient des impulsions électriques du cerveau à la moelle épinière. Cette nouvelle a été complimentée par de nombreux médias et accueillie comme étant LA solution tant espérée.

Lorsqu’on parle de tétra- et paraplégie, on pense tout de suite au fait de ne plus pouvoir marcher et bien souvent cela s’arrête là. Je n’en veux à personne car j’étais moi-même assez ignorante sur le sujet avant que je sois personnellement concernée par cette invalidité.

Cela va peut-être vous étonner mais les véritables problèmes pour nous ne se situent pas à ce niveau-là. Marcher ou pas, ce n’est pas le plus important. Nos soucis sont autres, ce sont les problèmes neurologiques concernant le système urologique, la gestion des intestins, les douleurs chroniques, la sexualité, la circulation sanguine, les escarres, etc.

Ce qui me touche particulièrement, c’est qu’un grand nombre de médecins ne connaissent que superficiellement la complexité d’une lésion médullaire et c’est une des raisons qui me pousse aujourd’hui à rédiger cet article.

Ayant fait le choix de vouloir transmettre du positivisme et de la motivation, je n’avais jusqu’à présent jamais approfondi ce sujet par crainte que cela soit perçu comme de la lamentation. Je vais parler en toute objectivité afin que ceux qui sont intéressés par le thème puissent comprendre un peu mieux et aborder le sujet avec un nouveau regard.

Je vais parler des observations et expériences faites sur moi-même mais qui sont très probablement similaires à d’autres victimes d’une lésion médullaire, que ce soit tétra- ou paraplégie, même si chaque cas a ses particularités propres.

Commençons par le début, le début de cette nouvelle étape de vie, le réveil après mon accident. Une chute du trapèze alors que j’étais artiste cirque a provoqué une rupture de la moelle épinière au niveau de la dixième et onzième vertèbre thoracique, ainsi qu’un traumatisme crânien. On m’annonce alors que j’ai une paraplégie complète Asia A.

Je ne sens plus et ne peux pas bouger volontairement mes jambes ni mon bassin. Lorsque en position couchée je ne les vois pas, j’ai la sensation de n’avoir qu’un buste avec deux bras et une tête.

La première fois où j’ai pu me mettre en position assise, trois mois après l’accident, j’ai redécouvert mes jambes comme des vieux amis que je n’avais plus vu depuis une éternité. Je les ai observées et soudainement un élan de joie et d’espoir a traversé mon esprit : mes jambes ont bougé ! Incroyable ! Je serais peut-être en train de récupérer, la paralysie n’aurait peut-être été que passagère ?

Faux espoir. Je viens alors d’apprendre un nouveau mot : la spasticité. C’est quand les parties de votre corps qui ne sont plus connectées au cerveau à cause d’une interruption de connexion nerveuse dans la moelle épinière commencent à bouger par elles-mêmes.

Il existe deux types de paraplégies, la paraplégique flasque et la paraplégie spastique. Dans mon cas la spasticité s’exprime par trois types de contractions musculaires qui se situent au niveau de mon bassin, mon ventre, mes jambes et mes pieds, c’est-à-dire toute la partie en dessous de la lésion médullaire. Ces contractions musculaires involontaires varient en intensité au cours de la journée et de la nuit et quand elles deviennent particulièrement importantes, elles représentent des signaux d’alarme pour d’autres dérèglements qui se passent dans mon corps mais que je ne ressens pas directement.

Depuis que je suis paraplégique, je n’aime plus rester les pieds nus. Le fait de ne pas les sentir les rend vulnérables et bien souvent je me suis blessée aux pieds parce que je ne sentais pas qu’ils étaient coincés quelque part ou qu’ils étaient en train de frotter sur une surface rugueuse. De plus, lorsque je touche la peau de mon pied légèrement ou simplement quand l’eau de la douche ruisselle sur mes pieds, cela provoque cette fameuse spasticité. Les jambes se contractent complètement comme une crampe et parfois les mollets commencent à trembler. C’est un autre type de spasticité. S’il m’arrive d’avoir des blessures sur la partie de mon corps que je ne sens pas, ce qui arrive tristement assez souvent, il y a la spasticité par contraction ou secousses. Les muscles se contractent violemment, à un rythme irrégulier. D’autres déclencheurs de forte spasticité sont par exemple le fait d’avoir la vessie ou les intestins qui ne sont pas complètement vides ou bien lorsque j’ai mes menstruations.

Les spasmes sont accompagnés de douleurs chroniques, les douleurs neurogènes, qui se traduisent chez moi en trois types de douleurs. Il y a une fois cette sensation de recevoir des décharges électriques, un peu comme lorsque vous touchez un enclos électrifié pour le bétail, et cela survient plusieurs fois par jour ou par heure, selon les moments, dans le ventre et le haut des cuisses (paralysées) Et il y a les douleurs que je ressens comme une blessure, comme si un couteau était planté dans mon corps à la jointure entre le buste et les jambes. Puis il y a ces douleurs sur la peau, comme si la couche superficielle de ma peau était arrachée, dans la zone de transition entre la sensibilité normale et la paralysie. Ces deux dernièrs types de douleurs sont présents en continu, avec une intensité variable.

Il m’est possible de faire diminuer les douleurs du type coupure dans la chaire en appuyant très fortement avec mes doigts sur le point le plus sensible, en massant avec une forte pression mes organes internes et en secouant mon bassin avec mes mains. C’est ce que je fais le soir lorsque j’essaie de m’endormir… avant d’être réveillée à nouveau par le prochain cycle de fortes douleurs et spasmes. Pour pouvoir trouver du soulagement et me rendormir, je dois alors recommencer avec le processus décrit ci-dessus.

Pour cette hypersensibilité de ma peau dans la zone de transition, j’arrive à l’atténuer partiellement en portant des bandages serrés et épais sur la peau pour éviter le déclenchement des douleurs par le frottement des vêtements. Ce qui m’aide aussi c’est d’enduire ces parties de mon corps avec de la pommade anesthésiante.

Lorsque les spasmes surviennent dans mon ventre, cela provoque une douleur qui est un peu le mélange entre l’impression d’avoir une blessure profonde et les décharges électriques. Ce qui est particulièrement humiliant pour une personne dans ma situation, est que cette forte spasticité se répercute aussi sur ma vessie et provoque ce que vous pouvez imaginer.

C’est un des symptômes de mon handicap qui est le plus pénible à vivre et qui m’a demandé un grand travail mental pour retrouver la confiance en moi malgré le problème.

Vous commencez peut-être à comprendre, une lésion médullaire ne touche pas seulement les jambes. Tout votre abdomen est touché aussi et selon la hauteur de la lésion, plus ou moins d’organes sont affectés.

Et puis, bien sûr, la grande question qu’on se pose souvent mais dont on n’ose pas parler… Qu’en est-il de la sexualité ?

Les organes génitaux fonctionnent normalement mais sans contrôle et connexion consciente avec notre cerveau. La plupart des personnes concernées ne ressentent plus leurs parties intimes. Mais souvent les nerfs en-dessous de la lésion dans notre moelle épinière sont malgré tout intactes. Il y a alors des réactions physiologiques ou des contractions spastiques qui se produisent lors d’une stimulation physique.

Je pense que pour une femme avec paralysie médullaire, il est moins pénible de s’adapter à ces profonds changements corporels que pour un homme qui est généralement censé tenir un rôle plus actif à ce niveau-là.

J’ai la chance de partager ma vie avec mon mari et l’amour que nous avons l’un pour l’autre nous a permis de compenser en partie ces déficiences et de trouver une nouvelle manière d’exprimer notre sensualité. Nous vivons une relation très jouissive, enrichissante et épanouie malgré l’absence de réactions corporelles normales.

Dans les organes affectés il y a aussi l’appareil digestif. Avec une partie de mes intestins paralysée, je dois consciencieusement gérer la quantité et qualité des fibres que je mange. Une trop grande quantité crée une obstruction, alors que trop peu de fibres empêchent également le bon fonctionnement du tractus intestinal. Des moyens mécaniques sont nécessaires au quotidien pour permettre une bonne évacuation. Je passe plus de 3 heures par jour à faire des lavements et ma vessie doit être sondée très régulièrement, étant donné que mes sphincters ne peuvent plus être contrôlés normalement, par ma volonté. Il m’a fallu contourner le problème et trouver des solutions alternatives.

Les sondages à répétition nous rendent très vulnérable aux cystites. C’est un problème récurrent chez les lésés médullaire. Pour éviter ces infections de la vessie, il faudrait beaucoup boire mais avec les soucis cités haut (vessie spastique) lors d’événements publics ou de déplacements, je limite la quantité de liquide ingérée afin de pouvoir me sentir à l’aise dans ma vie sociale.

Le contrôle alimentaire est nécessaire pour retrouver un peu plus de bien-être dans mon quotidien. Avec les dérèglements neurologiques dus à mon handicap, certains aliments provoquent des irritations ou des réactions au niveau nerveux sur la paroi de mes intestins. J’évite par conséquent tout ce qui contient des petites graines, la peau de la plupart des fruits et légumes, les épices trop fortes et les aliments qui contiennent trop de fibres indigestes pour moi. J’évite également le café et tout ce qui contient ce même type de stimulant comme le thé noir, thé vert ou le cacao. Ces aliments provoquent chez moi non seulement des palpitations cardiaques et tremblements mais aussi une plus forte spasticité.

Dans mon cas, à ce contrôle alimentaire dû à la paraplégie, se rajoutent encore des intolérances alimentaires et le fait que j’ai perdu le goût et l’odorat suite au traumatisme crânien subit au cours de l’accident en 2007. Vous pourrez comprendre certainement que je ne mange pas par plaisir mais par nécessité. La sensation de faim est toujours présente et elle se manifeste souvent après un entraînement sportif. Je suis très à l’écoute de mon corps pour lui donner les nutriments nécessaires au quotidien.

Au niveau des douleurs neurogènes chroniques, la thérapie la plus efficace est le sport, ainsi que suffisamment de sommeil. Le premier point est plus facile à mettre en œuvre pour moi car j’ai toujours aimé bouger. Maintenant cela est devenu une nécessité presque vitale pour supporter la douleur. En ce qui concerne le sommeil, c’est plus difficile car ce sont justement ces douleurs et les spasmes qui me réveillent plusieurs fois par nuit et m’empêchent de dormir profondément.

Ce qui m’aide à trouver le sommeil est le massage cité plus haut, le mouvement et le fait de changer régulièrement de position, en tâchant, dans la mesure du possible, de bloquer mes jambes pour leur éviter de trop gigoter et de continuer à me tenir éveillée.  Et puis il y a la relaxation, la méditation, en bref et comme pour tout le reste, une gestion et un contrôle de mon mental.

Le mental ne fait pas tout mais il est un grand appui quand même. Il y a certains symptômes de la paraplégie que je n’ai pas réussi à gérer de cette manière-là. Ce sont par exemple les gelures que j’ai chaque année aux pieds à cause d’une circulation sanguine moins efficace dans le bas du corps. Mes jambes sont constamment froides et quand il fait 10 degrés Celsius et moins, mes pieds qui n’arrivent pas à se réchauffer par eux-mêmes, subissent des engelures. Les orteils deviennent noirs, ensuite cela crée une cloque et une blessure à cause de la peau nécrosée en dessous. Après deux à trois mois, cela se résorbe pour recommencer à un autre endroit. Au début de la gelure, souvent le pied enfle et j’ai déjà été hospitalisée à cause d’une septicémie avec risque d’amputation à cause de ce problème.

Malgré les meilleures chaussettes et chaussures, mes pieds, en saison froide, n’arrivent pas à se réchauffer par eux-mêmes. La chaleur doit venir de l’extérieur mais quand on ne sent pas sa peau, il y a un grand risque de brûlure. De nouveau quelque chose de très compliqué à gérer. Une des solutions est de migrer dans des régions plus chaudes, mais comment faire pour concilier cela avec mes activités professionnelles ? La question n’est pas encore résolue.

La peau des jambes et des pieds est devenue bien plus délicate et le risque d’escarres, pour moi comme pour toutes les autres personnes en chaise roulante, est bien présent.

Parfois j’envie ces athlètes en fauteuil qui, en été, pratiquent leur sport favori, la peau à l’air, sans escarres ni cicatrices. Chez moi le handicap a laissé beaucoup de traces et jamais je ne peux me permettre de me promener les jambes découvertes car à peine j’enlève mes bas de compression, pieds, chevilles et mollets commencent à enfler. De plus, le vent sur la peau de mes cuisses provoque des douleurs de type décharges électriques, c’est pourquoi je les protège en permanence par un vêtement serré qui évite le mouvement du tissu sur la peau, lui aussi source de douleurs.

Je vois déjà venir les bons samaritains qui vont vouloir me proposer telle ou telle thérapie ou médicament. Ne vous inquiétez pas, j’ai presque tout essayé… sans résultat convaincant. Je n’ai pas besoin d’être secourue, j’accepte les choses telles qu’elles sont et je focalise mes pensées sur ce qui m’apporte de la joie.

Dans la liste énumérée, y aurait d’autres choses à citer encore mais ne voulant pas rallonger cet article davantage, je m’en suis tenue à ce qui me paraissait le plus essentiel. J’espère toutefois avoir pu éclairer sur le sujet, afin de ne pas donner de faux espoirs à cause de publications dans la presse qui ne parlent que des thèmes les plus accrocheurs mais qui ferment les yeux sur la réalité.

Les progrès de la médecine et de la science sont porteurs d’espoir mais trop souvent ils sont réalisés par rapport au regard d’une personne valide. On donne alors de l’importance à des choses qui pour les personnes concernées par l’invalidité ne sont pas prioritaires.

De nombreuses associations s’investissent pour permettre aux blessés médullaires de reprendre leur vie en main, certes avec quelques adaptations, mais en toute autonomie et c’est ce qui, à mon avis, est le plus important.

Malgré mon handicap lourd j’ai toujours refusé de subir ma vie et ma devise est de développer le meilleur de ce qui me reste. C’est ainsi que j’ai pu réaliser des titres prestigieux au niveau sportif, des premières mondiales et des performances inimaginable auparavant pour des personnes dans ma situation.

Vous voyez, d’un côté on m’admire pour mes performances hors du commun mais derrière cette façade il y a juste une femme qui a envie d’être heureuse et qui se bat au quotidien avec tous les symptômes de son handicap pour rester digne et maître de son destin.

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Photos: Tania Emery/ association Corps à Coeur

 

 

 

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Silke Pan

Livre : A la conquête de nouveaux sommets, Editions Favre Une vie qui commence dans la lutte, Silke Pan se relève et de ses passions, elle en fait son métier. Artiste de cirque, elle travaille à travers toute l’Europe jusqu’au jour où une terrible chute du trapèze brise les ailes de l’acrobate. Paraplégique, Silke reprend son envol à travers le sport de compétition en handbike (vélo à bras). Grâce à sa collaboration avec l’EPFL pour le développement de l'exosquelette TWIICE, elle vit un miracle technologique. En 2020, un retour inattendu dans le monde de l'acrobatie et du cirque lui ouvre de nouvelles portes.