Voyage visuel entre Chine et Suisse

Voyage visuel entre Chine et Suisse

Longines en Chine et en Suisse Longines en Chine et en Suisse: montre-moi quelle est la beauté la plus longiligne

Un récent voyage en Chine m’a fait voir les publicités horlogères de Suisse et de Chine avec un regard renouvelé. Surtout après avoir découvert les outils de « décod’image » de la fondation images et société.
L’Empire du Milieu est devenu en quelques années le plus grand marché du luxe au niveau mondial. Dans ce contexte, les acteurs de la branche horlogère redoublent d’efforts pour séduire les acheteurs chinois, qu’ils soient jeunes ou plus âgés.

Comment vendre une montre de luxe en Occident ?

Dans l’industrie de la mode et du luxe, les publicités jouent un rôle primordial pour capter l’attention des consommateurs avec une image de prestige. Les marques horlogères suisses, réputées pour leur qualité et leur artisanat, utilisent fréquemment des mannequins occidentaux, minces et jeunes pour transmettre leur identité et leur esthétique. Ce choix peut donner l’impression que ces marques ne ciblent qu’une partie très restreinte de la population, ignorant des consommateurs potentiels d’autres origines ethniques et culturelles.
Récemment, certaines marques de luxe ont commencé à jouer la carte de la pluralité et de l’inclusion. Elles ont progressivement introduit des campagnes mettant en scène des mannequins d’origines variées, reflétant davantage la société actuelle, bien que le registre tienne davantage de la touche exotique version salon de luxe que de la véritable diversité humaine.

Pour vanter un produit de beauté coréen ou une marque italienne en Chine
Pour vanter un produit de beauté coréen ou une marque italienne en Chine

Blanche, hyper fine ou androgyne: une recette pour vendre en Chine ?

Les marques locales et internationales choisissent souvent des mannequins asiatiques à la peau très blanche. Elles sont même parfois blondes comme pour un sérum coréen au concentré de ginseng rajeunissant. Pourtant l’étendue géographique de la Chine réunit de nombreux groupes ethniques à la peau plus ou moins brune et aux traits variés. Utiliser des mannequins répondant uniquement à des normes esthétiques étroites peut exclure une partie de la population chinoise qui ne s’identifie guère à ces stéréotypes.

Comparaison entre les publicités occidentales et chinoises

On peut observer des similitudes et des différences. En Europe comme en Chine, les mannequins sont fortement idéalisés selon des canons de beauté propres à chaque culture. Ces représentations stéréotypées créent une vision étroite de la réalité et des normes esthétiques.
Couple Daniel Hechter
Toutefois, on note également une évolution positive dans les deux pays. Certaines marques suisses et chinoises ont pris des mesures pour promouvoir la diversité et l’inclusion dans leurs campagnes publicitaires. Elles ont cherché à représenter une gamme plus large de visages, de corps et d’origines ethniques, montrant ainsi une prise de conscience croissante de l’importance de la représentativité.

publicité montre asiatique
Quelle image vous fait rêver davantage ?

Le rôle de la diversité dans les publicités de luxe

Il est essentiel de reconnaître que la diversité dans les publicités de luxe ne se limite pas à des considérations morales ou sociales. En réalité, étendre l’éventail des caractéristiques humaines joue un rôle crucial dans l’élargissement de la clientèle potentielle et dans la création d’une connexion plus forte avec les consommateurs.
Introduire une multiplicité d’apparences dans les publicités de luxe est un facteur clé pour élargir l’audience et créer une connexion émotionnelle avec les consommateurs. En reconnaissant et en célébrant la richesse des différences, les marques peuvent véritablement se démarquer dans un marché concurrentiel.

couple mixte

Le regard, la couleur de peau et la forme du nez sont au cœur de nombreuses discussions sociétales, soulevant des questions cruciales liées à l’inclusion et aux normes de beauté. La couleur des yeux et de la pigmentation que la forme du nez ont souvent été utilisées comme critères pour définir la beauté, créant ainsi des stéréotypes et des normes esthétiques qui varient selon les cultures et les époques.
Ces critères ont parfois conduit à des préjugés et à des discriminations, renforçant des idées préconçues sur la valeur et l’acceptabilité des traits physiques sortant des canons médiatisés. Cependant, ces dernières années, il y a eu un mouvement croissant vers la remise en question de ces normes restrictives. Les discussions sur la représentation et l’acceptation de la diversité dans les médias, la publicité et d’autres domaines ont mis en lumière l’importance de célébrer la beauté dans toute sa variété, favorisant ainsi des dialogues essentiels sur l’estime de soi, l’égalité et l’inclusion.
Ce débat en évolution reflète un changement culturel vers une acceptation plus large de la multiplicité des caractéristiques humaine, encourageant une vision de la beauté qui embrasse la richesse des différences individuelles plutôt que de les restreindre à des normes rigides.

publicité montre occidentale

Quand le racisme pointe son nez…

En novembre 2021, après un raz-de-marée de réaction de la part d’internautes chinois la photographe Chen Man s’est excusée pour cette image controversée prise pour Dior, montrant un mannequin chinois aux yeux bridés. Ce cas s’ajoute à des polémiques récentes autour des publicités de Mercedes-Benz et Gucci utilisant des mannequins chinoises avec des yeux en amande.
Au milieu d’un nationalisme croissant en Chine, de nombreux cybercitoyens considèrent ce type d’imagerie comme du racisme, accusant ces marques de perpétuer des clichés occidentaux sur les visages asiatiques. Cependant, la polémique soulève également des questions sur les idéaux de beauté en Chine, où les normes ont évolué, passant des yeux bridés, préférés dans la Chine ancienne, à l’actuelle prédilection pour des yeux plus grands, influencés en partie par l’Occident. Pour rappel, de nombreuses jeunes femmes vont jusqu’à recourir à la chirurgie pour créer un pli de « double paupière » afin d’accentuer la taille de leurs yeux. Dans ce contexte, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre le rejet du pluralisme esthétique, soulignant la diversité des apparences chinoises et plaidant pour une acceptation plus large de la beauté. La controverse reflète aussi un débat mondial sur la diversité et la représentation dans les médias, soulignant la nécessité d’éviter les simplifications qui étouffent la richesse des différences individuelles.

Chen Man pour Dior
Ce portrait réalisé par la célèbre photographe Chen Man pour Dior a suscité des millions de réactions des internautes de la communauté chinoise.

Célébrer l’inclusion

Dans le domaine du luxe et de l’horlogerie, la publicité offre une opportunité d’élargir la palette de communication en célébrant judicieusement la richesse culturelle par la mise en lumière des particularités de différentes régions dans le cadre des campagnes commerciales. C’est une manière pour les entreprises de véhiculer un message d’ouverture, d’inclusion et de respect mutuel. Ainsi, la publicité peut fonctionner en tant que plateforme pour contribuer à un dialogue culturel constructif et enrichir l’expérience des consommateurs à travers le monde.

« Quand tu es métisse, tout le monde à quelque chose à dire sur ton physique »: les étudiants d’origine asiatique victimes du racisme et des stéréotypes, Le Parisien, 25 janvier 2024

© Crédits photos: Thomas Alostery – Chine, mai 2023

Thomas AlosteryInvité par Eva Saro, Thomas Alostery est spécialiste en communication et branding qui accompagne les marques et institutions à réaliser leurs campagnes de marketing de contenu dans les médias romands. Il a occupé divers postes dans ce domaine au sein du quotidien Le Temps, les magazines L’illustré et PME et travaille actuellement chez ESH Médias (Le Nouvelliste, ArcInfo, La Côte).
Sensible aux effets que peut avoir la publicité sur les jeunes, Thomas a permis à la fondation images et société d’ouvrir ce blog, afin qu’elle explique sa mission et sensibilise le grand public à mieux voir et comprendre les messages auxquels nous sommes confrontés au quotidien à travers des sujets d’actualités.

Une histoire de muscles

Une histoire de muscles

La période des fêtes de fin d’année nous a souvent valu des avalanches de femmes en petite tenue affichées en grand format sur les panneaux publicitaires urbains. Cet hiver, H&M ou Aubade se sont abstenus d’étaler leur sélection de corps dénudés dans les rues. Le mouvement #MeToo aurait-t-il calmé ce type d’ardeurs ? En même temps, les magasins de sous-vêtements restent nombreux à exposer des ensembles intimes dentelés, fleuris ou scintillants. La mode des vêtements moulants persiste et dévoile l’anatomie féminine. Mais qu’en est-il des hommes en sous-vêtements ?

evolution sous-vêtements 1970-2020

Que nous révèle l’homme en sous-vêtement ?

Occupé.es à organiser récemment des documents, nous avons eu la surprise de trouver des cartons d’emballage de sous-vêtements masculins des années 1970. Ils avaient servi à séparer différents articles et photos. Une belle occasion de prendre un moment pour comparer l’allure de ces deux mannequins masculins en chemisette et caleçon, celui en mini-slip datant de 2020. Quelles différences et similitudes remarquez-vous ?

l’homme en sous-vêtement

En 2020 et 2022, nous avons fait un tour dans un magasin de la même chaîne et ailleurs. En l’espace de cinquante ans, soit un demi-siècle, les hommes mis en scène restent majoritairement jeunes avec une expression sérieuse, la posture plutôt droite. Toutefois la carrure est devenue athlétique, bien que notre regard se soit habitué au fil des décennies à cette esthétique musclée au point de ne plus vraiment la relever. Quoi d’autre ? Les prix ont presque quintuplé. Et les sous-vêtements sont souvent en fibres synthétiques, tandis que le «bio» prend de l’ampleur.

l’homme en sous-vêtement

La nature n’a pas doté tous les hommes d’un torse en V et chacun a hérité de formes et proportions différentes, mais au rayon des slips, les muscles sont aujourd’hui incontournables. Suivant les magasins et les marques, un corps de sportif de haut niveau occupe tout l’espace de la photo, sans visage. Le mannequin esquisse un mouvement marqué, un élan énergique. Les gestes doux sont rares, les postures contorsionnées restent cantonnées au rayon féminin.

Un commentaire fréquent des jeunes hommes concerne la dimension plus ou moins réaliste du sexe. En choisissant les images de cet article, un collègue m’informait: «Les slips actuels ont une couture qui met en valeur les bijoux de famille.» Et en achetant récemment un collant d’hiver, le vendeur lui lance: «Tu verras… ça te les mets bien en valeur.»

Les premiers hommes dénudés

Au début de nos collections visuelles, à la fin des années 1990, les premiers hommes dénudés étaient de hommes de type afro, au teint métis. L’homo occidentalis clair de peau a mis plusieurs décades avant de se montrer en petite tenue. Il a alors fait l’effet de ces quelques arbres qui font oublier la forêt des hommes complètement vêtus. Habillés ou dénudés, ils arboraient avant tout des postures droites, voire raides et des visages sévères comme des guerriers. Toute souplesse et fragmentation du corps, ainsi que les positions les plus abracadabrantes d’inconfort continuent à être la spécialité du département féminin. Une évolution a lentement infiltré le courant dominant par le biais des publications des milieux homosexuels.

ken evolution historique
Ken en 2023 et Ryan Gosling
Ken 1960 et 1970 ©Mattel / Ken 2023 sur amazon.ca / Ryan Gosling ©Warner Bros. Pictures

Les muscles chez Ken

La carrure de Ken, le fidèle compagnon de Barbie, a aussi varié au fil des décennies. Ses abdominaux et ses mollets, mais aussi ses bras et sa nuque sont devenus plus massifs. Différentes études sociologiques ont relevé le développement de cette tendance pour plusieurs figurines masculines de jeu au cours des derniers 25 ans. L’acteur Ryan Gosling, qui personnifie Ken au cinéma, a ainsi très peu en commun avec la poupée Ken des années 1960.

La silhouette de Superman a subi une transformation similaire entre les premiers films des années 1950 avec Georges Reeves en tenue tricotée et ses incarnations successives telles Christopher Reeve (sans s) entre 1978 et 1987, qui avait décidé de passer par la case musculation sous sa combinaison en matière synthétique. Quant à Henry Cavill en 2013, son «armure» multi-couches comporte un rembourrage métallique pour rendre les muscles particulièrement saillants et visibles grâce à des zones de mini-ouvertures, placées stratégiquement sur le justaucorps.

Les superman à travers les âges

George Reeves en tenue tricotée, Christopher Reeve en combinaison synthétique et Henry Cavill en «armure» multi-couches

Ces muscles qui troublent notre raison

minceur ?Pour conquérir la clientèle masculine et leur vendre toutes sortes de produits, rien de tel que l’archétype de l’homme puissant. «Ces pubs peuvent donner envie de se soigner» estiment certains élèves lors d’ateliers de «décod’image».

En même temps, de nombreuses études psychosociales sur l’influence sur nous des modèles de rêve médiatisés font ressortir que l’estime de soi des garçons en est affectée négativement.

Face à cette publicité avec un bellâtre bien musclé, la réaction de deux hommes, dont un journaliste à l’esprit critique aiguisé, était plus ambivalente: «Je sais que je ne vais pas développer de tels abdominaux et mincir en une nuit. Pourtant, j’ai quand même essayé…».

 

Les photographies faites par Eva Saro sont la propriété de la fondation images et société

Un regard complémentaire sur le masculin musclé
A propos du costume du Superman de 2013

Source des photos de Superman: Georges Reeves | Christopher Reeve | Henry Cavill

Pas aussi blanches que ça

 

La couleur dans la sculpture en marbre antique

Il y a tout juste quelques jours, en octobre, une découverte a fait la une de la presse mondiale : à l’aide de technologies de pointe, une analyse de certaines sculptures en marbre provenant du Parthénon à Athènes et conservées aujourd’hui au British Museum à Londres, a dévoilé sur la surface de ces chefs-d’œuvre grecs du Vesiècle av. J.-C. des traces de peinture, invisibles à l’œil nu (lienlien). Les statues antiques d’un blanc immaculé ont-elles pris quelques taches avec le temps ?

Le blanc et l’idéal de la forme

La Vénus de Milo au Musée du Louvre à ParisFig. 1: La Vénus de Milo au Musée du Louvre à Paris
© Dion Hinchcliffe, CC-BY-SA-2.0, (wikimedia commons)

Depuis la Renaissance, le marbre blanc forge l’image de la sculpture en pierre. On pensera ici par exemple au David de Michel-Ange, exposé en 1504 sur la Piazza della Signoria de Florence. Depuis le XVIe et jusqu’au XIXe siècle, des dizaines de milliers de statues en marbre blanc et sculptées par les plus grands artistes ont inondé les parcs publics, les châteaux et les palais, ainsi que les musées. C’est cette même « blancheur éternelle » du marbre qu’on appréciait chez les sculptures antiques que les fouilles en Italie, en Grèce et en Turquie ont mis à jour.
Même si ces statues conservaient parfois des restes de peinture, la préférence portait sur le blanc qui, comme l’écrit Johann Joachim Winckelmann dans son Histoire de l’Art dans l’Antiquité parue en 1764:

« Comme le blanc est la couleur qui réfléchit le plus grand nombre de rayons lumineux, c’est aussi la plus sensible, et un beau corps sera d’autant plus beau qu’il est plus blanc et, s’il est nu, paraîtra plus grand qu’il n’est dans la réalité. »

Des philosophes comme Diderot, Goethe et Herder refusèrent tout au long du XVIIIe et du XIXe siècle l’application de couleurs à la sculpture. La blancheur du marbre sculpté était considérée comme l’idéal esthétique par excellence, tandis que la couleur était comprise comme un moyen de séduction des sens, un élément irrationnel, déformant l’esprit pur des œuvres.
 

Une querelle des couleurs

Sir Lawrence Alma-Tadema (1836-1912), Phidias montrant la frise du Parthénon à ses amis Sir Lawrence Alma-Tadema (1836-1912), Phidias montrant la frise du Parthénon à ses amis (1868), huile sur bois, 72 x 110,5 cm, Birmingham, Museums and Art Gallery. Image libre de droits.
 
Déjà au XIXe siècle, quelques voix s’opposaient à cette doctrine de la blancheur. Dans son ouvrage Le Jupiter Olympien ou l’Art de la Sculpture Antique, paru à Paris en 1815, Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy constate que les statues antiques avaient perdu avec le temps « leurs teintes légères et les préparations de couleur variée dont jadis on s’était servi, ou pour corriger les imperfections de la matière, ou pour lui ôter la froideur et la monotonie de la pierre blanche, ou pour la préserver des dégradations du temps, ou pour y produire quelque semblant d’illusion (…) ». D’autres chercheurs et artistes le suivent sur cette voie, motivés par des observations faites sur les pièces. Cela vaut également pour les sculptures du Parthénon sur lesquelles on observait déjà au XIXe siècle les dernières traces de la polychromie antique que les nouvelles recherches permettent de détailler. Au milieu de cette « querelle des couleurs » qui va continuer longtemps, le fameux peintre Sir Lawrence Alma-Tadema (1836-1912) illustre sur son tableau « Phidias montrant la frise du Parthénon à ses amis » les figures en relief dans une polychromie éclatante.

Une hypothèse confirmée

Reproduction en plâtre peint d’une Koré de l’Acropole d’Athènes par Émile GilliéronReproduction en plâtre peint d’une Koré de l’Acropole d’Athènes par Émile Gilliéron, vers 1910. Collection des moulages de l’Université de Genève. © Collection des moulages de l’Université de Genève, photo Lorenz E. Baumer

Des nouvelles découvertes comme les sculptures du temple d’Aphaïa qui remontent au début du Ve s. av. J.-C. ou les nombreuses statues de jeunes filles (« Koré ») du VIe s. av. J.-C. qui ont été libérées du sol sur l’Acropole d’Athènes, confirment au début du XXe siècle l’importance de la peinture dans la sculpture grecque. Durant les dernières décennies, les exemples se sont multipliés grâce aux nouvelles technologies qui permettent de rendre visible ce qui a disparu avec le temps.
Pourtant, encore en 2008, la première présentation de l’exposition Bunte Götter au Liebighaus à Frankfurt a choqué un bon nombre de savants aussi bien que le public, en proposant de nombreuses sculptures grecques et romaines dans des couleurs vivantes. La dernière version de cette même exposition que le public pouvait admirer du 5 juillet 2022 jusqu’au 26 mars 2023 au Metropolitan Museum of Arts à New York (lien) a également suscité un grand étonnement dans la presse.
Ce genre de réactions a également eu lieu lors de la petite exposition intitulée « Les couleurs du plâtre. Polychromie et sculpture antique », présentée à l’automne 2015 dans la Salle d’exposition de l’Université de Genève par l’Unité d’archéologie classique du Département des sciences de l’Antiquité. Un compte rendu de l’exposition qui est paru dans la Tribune de Genève constate en novembre 2015:

« Des statues antiques en couleurs ? L’idée nous paraît presque absurde tant on a l’habitude d’admirer le marbre blanc des figures exposées dans les musées. Pourtant, il est depuis longtemps admis qu’à l’origine, ces sculptures étaient peintes, de même que les bâtiments. Avec des couleurs vives et une abondance de motifs, très loin de la sobriété qu’on imagine. »

Les récentes découvertes concernant les marbres du Parthénon ne constituent qu’une parmi de nombreuses autres révélations. Quasiment du jour au lendemain, la sculpture antique devient plus polychrome et fascinante. Cependant, il reste encore du chemin à parcourir avant que le fait qu’une bonne partie de la sculpture antique était initialement peinte, ne soit largement reconnu.

 

Lorenz E. Baumer Invité par Eva Saro, Lorenz E. Baumer est professeur d’archéologie classique à l’Université de Genève. Spécialiste de la sculpture antique et de sa réception depuis la Renaissance, il dirige des projets de fouilles et de recherche en Italie et en Grèce. Auteur de plusieurs livres et de nombreux articles scientifiques, il a réalisé depuis sa nomination en 2009 à Genève plus que 30 expositions (lien). L’exposition actuelle « L’objet photographié. L’œuvre photographique de Jürg Zbinden » est accessible jusqu’au 20 décembre 2023: Collection des moulages, 10, rue des Vieux-Grenadiers, 1205 Genève (SIP, Quartier des Bains – en face du MAMCO), horaires: les lundis et mercredis de 10-18h; entrée libre (lien).

Etes-vous déesse ou héros ?

 

En passant dans le rayon parfumerie d’une pharmacie, j’ai eu le regard capté par ces créatures. L’expression du héro m’a surprise, son grain de peau aussi. Quelle femme de pub serait représentée avec tant de rugosités et même des boutons ? C’est alors que j’ai vu la déesse de la même marque, fond de teint épais et couches de retouches pour terminer la cuisine esthétique. La bouche présente un dessin un peu raidi, mais les lèvres sont entr’ouvertes. Deux types de sensualité nous sont proposées: la divinité féminine occupe toute l’image à elle seule, tandis qu’un cheval accompagne l’homme héroïque. Une forme d’égalité nous est donnée à voir par la bouteille carrée. Mais elle est sombre et sobre pour lui, lumineuse et ciselée pour elle.

 

Publicité Burberry
La mythologie publicitaire des parfums condensée en deux exemplaires. 

Comment ados et adultes choisissent-ils un parfum ?

A l’odeur ? C’est ce que de nombreux élèves disent dans les ateliers de « décod’image ». Les senteurs éveillent certes nos sens, mais la marque n’aurait-elle vraiment aucune importance. Dans une parfumerie où j’explorais les mises en scène et les promesses de différents produits, une discussion échauffée entre quelques garçons et filles m’a surprise. La question récurrente: « Qu’est-ce que j’achète ? Celui-ci ou plutôt l’autre ? Ils sont les deux à 100 CHF. » Toute une argumentation sur les marques était en cours, sans rapport avec les fragrances. Quand j’ai vu qu’il s’agissait d’adolescent.es, je me suis demandé d’où pouvait provenir de tels moyens financiers pour des parfums. Leurs téléphones portables coûtent plus cher, mais pourquoi de telles préoccupations d’achat à cet âge ? Pourtant, les médias et les réseaux sociaux sont remplis d’articles sur la consommation éthique et durable…

La première publicité du peintre René Magritte en 1916 résumait un principe qui reste d’actualité: « Pour devenir un fort soldat, je bois le pot-au-feu Derbaix ». En d’autres termes: j’achète ceci pour devenir cela, pour être un peu plus héros, boss, divin.e ou séduisant.e. On sait qu’une senteur seule ne résoudra pas nos relations, mais on voit l’image envoûtante, qui promet ce que les entreprises n’oseraient pas prétendre en mots, car elles risqueraient d’être attaquées pour promesse mensongère. Le matraquage commercial est si omniprésent que le plaisir immédiat de l’achat -et le fait de pouvoir nous permettre un bout de luxe- suffit à nous détourner d’un questionnement sur les filets de la manipulation dans lesquels nous nous laissons prendre, tout en affirmant être libres.

 

Publicité Gaultier Boss

Combien paierez-vous pour être divine, boss ou sauvage ?

Le cinéma cosmétique

Musique classique ou campagnes électorales, les visages sont retravaillés selon les codes de représentation des mises en scène de la publicité et du cinéma. Les filtres et les réseaux sociaux ont amplifié la tendance. Nous nageons tous au quotidien dans le même bain visuel artificiel. Alors comment oser un look vraiment différent, quand on a envie d’être accepté.e dans un groupe ou une équipe professionnelle ?

 

Actrice Acteur

 

Oserez-vous assumer le penchant de votre cœur pour un scandale (à plus de 100 CHF) ? Ou vous sentez-vous davantage attiré.e par la large carrure de la mannequin « Libre » pour exprimer votre odeur personnelle après une bonne douche ?

Publicité Libre Scandal

 

La publicité de René Magritte
Pour explorer davantage Eve et Adam ou la senteur miraculeuse des images

Les photos ont été prises par Eva Saro, à l’exception de la publicité Gaultier et sont la propriété de la fondation images et société

Comment nous libérer de notre conformisme esthétique ?

 

A l’instar d’autres célébrités féminines, Madonna a été abondamment critiquée, que ce soit pour ses spectacles sexualisés, des photos d’inspiration sado-masochiste avant-après retouche, ses baisers avec Britney Spears, ses relations avec des hommes plus jeunes qu’elle, ses adoptions d’enfants africains, et plus récemment pour sa prise de poids et ses chirurgies du visage. L’artiste estime être victime d’âgisme et de misogynie, et déclare qu’elle continuera à faire ce qu’elle veut. Mais en quoi cette liberté consiste-t-elle au juste ?

 

Collage MadonnaPeu après sa tournée MDNA, Madonna a repris cet acronyme pour lancer en 2014 des produits de soin pour la peau. Sur le site de la marque, elle vante les combinaisons d’ingrédients et les effets sur son visage, parfois accompagnée de Kim K, et le style de marketing déroute. Jeunesse éternelle assurée. Omerta sur le rôle de la médecine esthétique et des chirurgies nécessaires pour que la magie opère pleinement.
Notre montage photo ci-contre combine un portrait de Madonna après ses récentes transformations chirurgicales avec une publicité pour la marque, où son apparence correspond aux codes coutumiers pour les cosmétiques. Devant ce type d’imagerie, la réaction courante est d’admirer la « perfection » de ces créatures. Nous savons que c’est retouché et artificiel, mais quelque chose en nous est fasciné et nous peinons à repérer l’étendue de cette « cuisine numérique » -et chirurgicale- pour fabriquer une féminité divinisée. Sur les publicités, les hommes gardent une touche plus humaine.

Les rides sont-elles une maladie pour les femmes ?

Comment se fait-il que depuis des siècles, la femme âgée soit une sorcière -ou une cougar, donc un félin croqueur de jeunets-, tandis que l’homme grisonnant devient séduisant et le vieillard un sage ? Quels archétypes colonisent-ils nos idéaux de façon si persistante ? Différents héros musicaux ayant passé la soixantaine sont encensés pour leur dynamisme et leur éternelle jeunesse sur scène. Voit-on des articles épinglant un Mick Jagger au sujet de son visage marqué ? Il est plutôt question de charme irrésistible.

Mick JaggerUn éclairage différent transforme un peu Mick Jagger, mais personne ne le dénigre en raison de ses rides. Un homme se bonifie-t-il avec le temps comme certains vins, avantage refusé à l’être humain de sexe féminin ? Suffirait-il de changer de sexe ou de genre ?
(Photos Rotten Tomatoes et Elle)

Pourquoi tant de jugements négatifs envers les femmes d’âge mûr ? Lors d’un atelier sur les stéréotypes, le responsable d’une agence de rencontres nous faisait part de son expérience, qui met en lumière le rôle des modèles (in)conscients: « Face à la photo d’une femme dans la cinquantaine, de nombreux hommes disent avoir l’impression d’être avec leur mère. Ils sont surpris quand je leur rappelle qu’eux aussi entrent à présent dans cette tranche d’âge. »

L’(in)égalité devant l’âge, une affaire de nature ou de culture ?

Couple Macron 2022La différence d’âge entre Brigitte et Emmanuel Macron a fait l’objet d’innombrables articles désobligeants envers son épouse. Vingt-quatre ans séparent aussi Donald et Melania Trump. Dans les médias, le ton a plutôt été flatteur envers l’ex-mannequin devenue Première dame. Quand la valeur des femmes ne se trouvera-t-elle plus liée si fortement à l’apparence de leur peau et à leur garde-robe ? L’ancienne présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey regrettait que les journalistes focalisent si souvent sur son habillement au détriment de ses engagements politiques. En Allemagne, Angela Merkel ou en Finlande, la très populaire ancienne présidente Tarja Halonen n’ont pas été confrontées à ce type de réactions. Est-ce une affaire de culture ? En Scandinavie, les couvertures de magazines affichent souvent des visages de femmes peu retouchés, proches de la réalité quotidienne. De fait, la pression sur les femmes de ressembler à une icône lisse est moins forte.

La chirurgie esthétique est-elle vraiment une forme de liberté ?

« Nous avons besoin de modèles » déclare Madonna dans une interview avec The Cut en 2018. Faut-il muscler notre corps ou plutôt le sculpter ? Pour le bien-être ou pour se contraindre dans un nouveau corset ? Dans les ateliers de « décod’image », les jeunes filles expriment régulièrement le souhait de se faire changer le nez -ou les seins et les fesses. Quelques-unes relèvent que « les nez des femmes sont plus fins que ceux des hommes dans la pub », et de ce fait, leur nez ne leur semble pas assez féminin. Mais refaçonner notre visage par la chirurgie esthétique est-il vraiment une forme de liberté ou un chemin emprunté pour peut-être mieux nous aimer ? L’exercice n’est en tous cas pas sans risques pour notre santé et les psychologues rappellent que l’estime de soi n’est pas forcément au rendez-vous après ces transformations extérieures, sur un corps que nous considérons trop souvent comme un objet à conformer aux tendances du moment.

Carla BruniTout récemment sur Instagram, Carla Bruni estimait que « Les filtres sont des miroirs aux alouettes… [qu’] il faudrait interdire à nos enfants ou en tout cas leur signaler l’absurdité de tout cela. » Elle ajoute : « On se demande quelle est l’époque qui prétend que la séduction se résume à un tel visage.»
Cette réflexion a suscité de vives réactions, étant donné sa façon de retravailler son visage par diverses opérations. En même temps, il est vrai que ces outils ont de redoutables effets sur nous à tout âge. Mais suffit-il de signaler les risques aux enfants pour éviter qu’ils se sentent inadéquats au naturel, quand tant de créatures artificielles les entourent sur image et au quotidien ?

Le pouvoir des modèles inconscients

Ce ne sont pas les personnes lgbtqia+, ni les hommes, mais les femmes qui sont les consommatrices majoritaires de ces diverses opérations visant à correspondre à une certaine idée de la beauté. Comme les femmes en Occident, les jeunes Coréennes au visage resculptés et uniforme à nos yeux se taisent sur la souffrance de ces traitements. Après une vague d’information, les médias « oublient » les pertes de sensibilité des seins refaits et les décès. Mais faisons-nous tout cela véritablement que « pour nous » ? A quels idéaux obéissons-nous (in)consciemment ? Nous évaluons-nous avec le regard que nous imaginons les autres porter sur nous ?

Celeste BarberCéleste Barber et ses parodies de la séduction médiatisée offrent une occasion de renouveler notre regard sur l’érotique (de toc) diffusée tous azimuts. Nous nous habituons à une certaine sexualisation des corps, majoritairement féminins et normés. Nous oublions d’interroger les enjeux de ces jeux de postures que nous consommons -et parfois reproduisons- sans trop réfléchir. https://www.instagram.com/p/CpCrMaaASqD/

Les mobilisations féministes des années 1960-1970 encourageaient les femmes à reprendre le pouvoir sur leur corps et leur sexualité. La publicité a rapidement détourné cet élan positif pour vendre de tout avec des femmes dénudées. Les premières rockeuses comme Janis Joplin ont percé parmi les rockers sans se déshabiller. Mais très vite des chaînes comme MTV ou Disney ont mis sur scène des jeunes filles sexualisées, qui sont devenues autant d’égéries imitées sur les réseaux sociaux. A qui cette sexualité spectacle profite-t-elle ? Nous aide-t-elle à exprimer nos besoins profonds de liens et d’appréciation ?

Geena DavisUn des souvenirs de Geena Davis: « Une fois, un certain acteur masculin qui faisait un film m’a dit que j’étais trop vieille pour être sa partenaire romantique à l’écran, alors que j’avais vingt ans de moins que lui. » (Photo deadline.com)

 

 

Des pistes pour émerger de notre conformisme esthétique

Au cinéma, les rôles des acteurs sont bien plus variés que ceux des actrices. De Jeanne Moreau et Julie Gayet à Sharon Stone, différentes femmes ont évoqué l’âgisme et le sexisme persistant dans la branche. Pour sensibiliser et agir concrètement, Geena Davis a fondé l’Institute on Gender in Media pour une représentation plus positive des genres et des minorités dans les médias de divertissement. Le leitmotiv depuis 2004 : « See it, be it » (vois-le, sois-le). Elle est en effet  convaincue que « Les médias ont un impact sur la façon dont les gens jugent leur valeur ». C’est pourquoi « les images sur nos écrans peuvent changer notre récit culturel et faire progresser la justice sociale ». Apprendre à « voir malin » contribue également à retrouver un espace de choix, donc de liberté.

Sur l’âge et les couples:
Couples de rêve, fondation images et société, 20 mars 2015
Les seniors (in)visibles, fondation images et société, 21 octobre 2016

Liberté et marketing selon Madonna:
The Beauty Roller – Roll Like a Queen!, Publicité Mdna Skin

La mode de la chirurgie esthétique:
Chirurgie ou médecine esthétique, leur popularité augmente auprès des jeunes, rts, 24 mai 2022

Réapprendre à voir à l’heure de l’IA

 

Les images créées en quelques secondes par des outils d’intelligence artificielle nous déroutent par leur réalisme et mille questions émergent sur leur répercussion dans nos vies. Pourtant, l’imagerie publicitaire nous confrontait déjà au trouble de la réalité double ou multiple. Intellectuellement nous savons que dans la pub « tout est retouché » et ne correspond pas à la réalité du mannequin en chair et en os. Mais notre regard s’est habitué aux portraits en version « améliorée » par un travail de retouches, et nous les préférons souvent à un visage au naturel. Alors comment naviguer dans un flot visuel qui inclut des compositions générées avec les technologies Midjourney et autres ?

Moins zapper et découvrir des proches de Frankenstein

stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia
Images générées par Dall.e en réponse à des questions de stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+

Face aux images produites par la version gratuite de Dall.e (ou craiyon, une version antérieure), nous avons joué au jeu des erreurs avec Ali, un étudiant du Centre universitaire d’informatique de l’UNIGE en stage à la fondation images et société.

Voir sur un ordinateur ou sur un téléphone ne permet pas la même perspicacité : les peaux lisses comme de la cire ressortent davantage sur un petit écran, tandis que les mains surréalistes ou les morceaux du puzzle visuel assemblés deviennent plus visibles sur un grand écran. Parfois, on retrouve des proches de Frankenstein avec des détails étrangement défigurés.

Mais au quotidien, nous zappons sur les images et interrogeons rarement leur fabrication ou leur effet sur nous. Pourtant, le flot continu de modèles souvent irréels nous influence, au point que nous sommes nombreux à être insatisfait.es de notre apparence en nous comparant à ces icônes. Comment réapprendre à voir au-delà des impressions furtives, lorsque les ingrédients ne sont pas listés comme sur un produit alimentaire ?

Pour Ali, ce sont les performances de l’outil This Person Does Not Exist qui l’ont choqué en 2019. « Voir des visages réalistes entièrement fabriqués par ordinateur m’a causé un malaise. C’était la porte ouverte aux dérives et aux faux comptes, qui ont même posé des problèmes à des réseaux comme Facebook.»

Quelle vision des stéréotypes selon l’IA ?

stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+
Images générées par Dall.e en réponse à des questions de stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+

Verbalement, ChatGPT répond doctement à la question des clichés de genre et de culture. A nos demandes autour du thème « stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+ », Dall.e a proposé des résumés visuels reprenant des caractéristiques récurrentes du masculin, avec des déformations et jointures parfois marquées: regard sévère, moustache ou barbe, cravate pour les hommes occidentaux, robustesse physique et expression violente pour les personnages afro, finesse et postures des arts martiaux pour les visages asiatiques.

Côté femmes: des bouches rouges, des regards coquins, rondes ou minces, décolletés et jambes exposées sont fréquentes. En bref, pour Dall.e, la femme se résume à un corps sensuel, l’homme se caractérise par des regards sérieux et du mouvement, posture droite et sourire synthétisent l’androgyne.

L’intelligence artificielle régurgite ce qui l’a alimentée. Mais savons-nous reconnaître les différentes couches de stéréotypes quand les prouesses techniques monopolisent notre attention ?

Connaissez-vous Eve et Adam des médias ?Eve et Adam des médias

Ces deux collages de la série « Media Models » synthétisent le masculin et le féminin omniprésent dans les publicités et l’imagerie de mode que nous voyons chaque jour. Durant l’exposition « Face à face » organisée par le Musée national de Stockholm entre 2001 et 2002, ces condensés visuels créés par Eva Saro étaient au cœur d’ateliers de « décod’image », et faisaient écho aux portraits peints des cinq derniers siècles. Le but de ces mises en lien entre peintures du passé et imagerie de notre quotidien ? Elargir nos perspectives sur la représentation du pouvoir, de la beauté et du masculin-féminin hier et aujourd’hui.

Ces deux collages ainsi que les portraits dans les chariots sont la propriété de la fondation images et société.

Aiguiser le regard pour augmenter notre espace de choix

Expo VisagesVisible à l’espace EyeSmart à Genève, l’exposition didactique « Eve et Adam des médias » nous met face à des collections thématiques de visages et de corps, récoltés par les équipes de la Fondation images et société dans différents magazines et enrichies sur trois décennies. Les seniors sont au centre d’une autre exposition, mise sur pied pour Cité Seniors.

Né d’un atelier développé pour Nokia et son publicitaire international, après une communication critiquée en Scandinavie et en Thaïlande, l’outil s’est avéré pertinent pour aiguiser le regard des jeunes comme des professionnel.les de l’image.

Lors d’un atelier de « décod’image », un garçon de 13 ans s’est exclamé: « Maintenant je comprends mieux pourquoi ma mère a peur de vieillir.»

 

Le fait d’explorer des collections visuelles issues de la publicité, de la mode ou de la politique introduit les partipant.es à (re)connaître les tendances dominantes des clichés et de la retouche. Ensemble, nos différents regards et observations se complètent pour constituer une grille des stéréotypes tant visuelle que verbalisée. C’est l’occasion d’interroger les modèles autour de nous et ceux que nous avons internalisés, le plus souvent à notre insu, et qui limitent l’expression de nos penchants.

Qui est le plus souvent en couleurs et qui se préfère en noir-blanc ?

Magazine TrajectoireLa plupart de nos visiteurs avouent ne pas l’avoir relevé consciemment: Eve des médias est souvent en couleurs, tandis qu’Adam est sombre et sérieux.

Autre tendance saillante des stéréotypes: la femme jeune, souvent blonde avec des yeux clairs, l’homme plus âgé ou marqué.

 

Durant les ateliers créatifs, les garçons préfèrent la version de leur portrait en noir-blanc, les filles trouvent que cela les rend trop sérieuses.

Qui est souvent (dé)vêtu ?

Qui est souvent (dé)vêtu ?
Source: notrecinema.com, cinemaffiche.fr, allocine.fr

Les affiches des films de James Bond résument nos schémas culturels typiques : de 1962 à1987 ou 2015, l’homme en vêtements sombres et couvrants, la femme en tenue de plage ou robe légère. On peut renouveler les collections thématiques et les mêmes ingrédients de base persistent. Les variations restent. Avec quels effets sur nous ?

Les clichés évoluent-ils ?

Dans les premières collections d’imagerie publicitaire de la fondation images et société, les corps féminins dénudés y prédominaient pour vendre de tout. Quelques corps d’hommes métis ou afro apparaissaient aussi. L’homo occidentalis clair de peau restait vêtu. Les magazines destinés aux homosexuels et au sport ont contribué à promouvoir des Occidentaux montrant leurs muscles. Néanmoins, ils posent le plus souvent très droits et présentent une expression sévère. Au contraire des corps féminins contorsionnés que le « schéma synoptique des oppositions pertinentes » de Bourdieu relevait déjà, et que les collections visuelles d’Erwin Goffman faisaient également ressortir.

Comment changer nos points de vues ?

Les images raffinées que peuvent produire Midjourney et ses proches ne chambouleront sans doute pas ces schémas limités et limitants. Pour la plupart des jeunes et des adultes, ces archétypes restent difficiles à mettre en mots et s’en éloigner est souvent malaisé. Devant les modèles médiatisés ou les portraits « améliorés » par des filtres, la réaction la plus fréquente est une auto-critique et des considérations esthétiques sur les images de mode. C’est pourquoi, dans nos ateliers, nous invitons les participant.es à imiter les poses pour mieux en ressentir la portée sur nous, quel que soit notre âge. Un cheminement pour mettre des mots sur des émotions, mieux se connaître, et peut-être accorder davantage nos actions avec nos intentions d’exprimer notre diversité.

A propos d’Eve et Adam des médias

Pourquoi apprendre à voir malin ?

 

Depuis plus de quarante ans nous vivons dans un monde d’images démultipliées en raison des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Or, nous restons largement analphabètes du langage visuel, alors même que l’être humain s’oriente principalement par ce qu’il voit. En 1982, les signataires de la déclaration de Grunwald interpellaient d’ailleurs les gouvernements pour développer l’éducation aux médias. Les analyses d’un Marshall McLuhan dans les années 1960 avaient en outre sensibilisé aux retombées socio-culturelles de moyens comme la presse et la télévision.

L’image de soi des jeunes et des enfants se dégrade

Nous sommes pris dans un flot continu d’informations visuelles, qui nous pénètre sans demander notre permission, façonnant nos idéaux et influençant nos rêves, autant que nos opinions et nos votes. C’est pourquoi savoir interroger ce que nous voyons ou croyons voir est devenu crucial pour (re)trouver nos repères et un espace de choix. En 2014, Promotion santé suisse rappellait que « l’éducation à l’image sert de filtre protecteur ». En même temps, au fil des études psycho-sociales coordonnées par l’Organisation Mondiale de la Santé, l’estime de soi des jeunes est passée d’une dizaine de pourcent d’adolescentes insatisfaites de leur apparence à une majorité de filles et de garçons ayant mal à leur image. Développer des outils pour renforcer le savoir voir s’avère dès lors primordial et requiert des synergies entre acteur.trices de l’éducation et de la communication.

A force de me voir avec des filtres sur Instagram, je me trouve plutôt moche quand je me regarde dans un miroir. Le travail de « décod’image» m’a fait du bien.  (Sarah C., 28 ans, stagiaire à la fondation images et société)
Sur les réseaux, j’aime quand il y a beaucoup de commentaires et je ne me posais pas trop de questions sur ce qui est vrai ou pas. (Elève de 16 ans dans un atelier de « décod’image »).

Des filtres qui troublent notre vision

Les questions récurrentes des jeunes accueilli.es à la fondation images et société concernent avant tout l’influence des modèles de beauté sur nous et le rôle des stéréotypes. Chacun.e de nous est sous influence, alors avec Lubna, une trentenaire, interpellée par le rôle des images dans nos sociétés et friande d’expérimentation avec des portraits de mode, nous avons décidé d’explorer l’application FaceApp pour tester nos perceptions face à différents filtres de retouche instantanée.

 

filtre-hollywoodQuelles différences percevez-vous entre ces deux portraits ?
Prenez le temps pour relever les subtilités du filtre « hollywood » utilisé sur l’image de droite à son degré maximal de 4.

Au fil de nos expérimentations, cette amatrice du monde des images s’est souvenue d’une photo vue sur les réseaux sociaux et qui ressemblait à une de ses amies d’Egypte. Après avoir contacté cette dernière, il s’est avéré qu’elle était passée de la « chirurgie numérique » à la chirurgie esthétique pour ressembler à son selfie.

Notre co-exploratrice s’interroge: « On voit tellement de visages lissés et les effets de lumière sont si flatteurs… Où posons-nous les limites sur le degré de transformation de nos portraits ? Au début, on sait qu’il s’agit d’un filtre, mais il suffit d’un clic et notre regard s’habitue déjà au visage amélioré. Jouer avec son look est addictif et on peut ne plus se sentir complètement à l’aise avec notre apparence, quel que soit notre âge. C’est assez perturbant quand en plus des gens valident nos portraits embellis… Et comment repérer les portraits fabriqués par l’intelligence artificielle et ceux de faux comptes de réseaux sociaux ? »

Aiguisez votre regard et votre conscience

filtre-cuteLe portrait original et trois degrés du filtre « cute » (mignonne).
En cliquant pour faire la transformation, on la remarque. Ensuite on s’accoutume et il devient malaisé de repérer la variation, mais entre plusieurs images à choix, nous préférons souvent la plus retouchée.
Regard sous influence ?

 

 


thomas fille
eva

Trois portraits de départ, teintés par les filtres « hollywood », « charme », « kiss ». Sur les visages de personnes jeunes, les nuances sont à peine perceptibles. La peau semble adoucie et les reliefs sont atténués (voir les deux gif animés ci-dessus). Avec une photographie de quelqu’un de plus âgé, les caractéristiques des filtres ressortent davantage: une touche de glamour avec des cils soulignés et une peau brillante, un air plus coquin  par des joues arrondies et un teint plus clair, lèvres botoxée pour un filtre « baiser ». Les effets sont plus proches d’une esthétique de publicités pour soins cosmétiques que d’un portrait de célébrité façon studio Harcourt. Ainsi nos préférences sont formatées au fil des codes à la mode.Les portraits de l’homme et la série horizontale de quatre visages sont la propriété de la fondation images et société.

Où commence le fake ou mensonger en art, pub et au quotidien ?

Les portraits peints durant les siècles passés avaient aussi leurs codes de représentation idéalisée. Mais avec une photographie, l’illusion de « copie du réel » est plus prégnante. Une plage comme fond d’écran sur un ordinateur nous détend déjà. Pourtant, même un lever de soleil n’est pas un simple duplicata d’une réalité, mais une transcription comportant des luminosités différentes de l’original, dont nous avons fait l’expérience. De plus, chacun.e voit au travers des lunettes teintées par son bagage culturel et émotionnel. Alors pour mieux nous connaître, et comprendre l’influence des images en nous et autour de nous, autant passer du « voir sans voir » de notre quotidien à un « voir malin » plus conscient, qui nous donne un espace de choix.

 

diva à la montreComment distinguer l’original de la copie ? Quelles modifications remarquez-vous sur le portrait de droite par rapport à la publicité originale à gauche ?
Aviez-vous remarqué les yeux légèrement agrandis (+50%) et la bouche moins charnue (+100%) ? Retouches avec PhotoDiva.

Unir nos compétences autour de la littératie visuelle

Malgré toutes les déclarations des mouvances body positive, notre idéal de beauté féminine semble profondément marqué par les créatures irréelles et figées dans la jeunesse, mises en avant dans tous les médias. Dans le même temps, films ou publicités regorgent de faciès masculins de tous les âges à l’air sombre. Nous sommes nombreux à porter un regard de juge extérieur sur nous-même et à vivre aliéné de notre corps et de nos ressentis. Pour notre mieux-être dans un environnement désorientant de modèles inaccessibles, il est temps d’unir nos compétences pour démocratiser la littéracie visuelle1, car savoir voir (au-delà de la beauté plastique de l’emballage) est devenu aussi important que savoir lire (entre les lignes d’un texte). Bienvenue sur le blog de la fondation images et société sur le site de L’illustré.

 

1. Littératie visuelle, capacité d’interpréter et d’analyser une information visuelle

Des liens complémentaires
La beauté numérique nuit-elle aux ados ? fondation images et société, 22 mars 2019
Regard sous influence fondation images et société,. 28 octobre 2018
A quoi sert le « décod’image » ? fondation images et société, 22 avril 2016