Pourquoi apprendre à voir malin ?

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Depuis plus de quarante ans nous vivons dans un monde d’images démultipliées en raison des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Or, nous restons largement analphabètes du langage visuel, alors même que l’être humain s’oriente principalement par ce qu’il voit. En 1982, les signataires de la déclaration de Grunwald interpellaient d’ailleurs les gouvernements pour développer l’éducation aux médias. Les analyses d’un Marshall McLuhan dans les années 1960 avaient en outre sensibilisé aux retombées socio-culturelles de moyens comme la presse et la télévision.

L’image de soi des jeunes et des enfants se dégrade

Nous sommes pris dans un flot continu d’informations visuelles, qui nous pénètre sans demander notre permission, façonnant nos idéaux et influençant nos rêves, autant que nos opinions et nos votes. C’est pourquoi savoir interroger ce que nous voyons ou croyons voir est devenu crucial pour (re)trouver nos repères et un espace de choix. En 2014, Promotion santé suisse rappellait que « l’éducation à l’image sert de filtre protecteur ». En même temps, au fil des études psycho-sociales coordonnées par l’Organisation Mondiale de la Santé, l’estime de soi des jeunes est passée d’une dizaine de pourcent d’adolescentes insatisfaites de leur apparence à une majorité de filles et de garçons ayant mal à leur image. Développer des outils pour renforcer le savoir voir s’avère dès lors primordial et requiert des synergies entre acteur.trices de l’éducation et de la communication.

A force de me voir avec des filtres sur Instagram, je me trouve plutôt moche quand je me regarde dans un miroir. Le travail de « décod’image» m’a fait du bien.  (Sarah C., 28 ans, stagiaire à la fondation images et société)
Sur les réseaux, j’aime quand il y a beaucoup de commentaires et je ne me posais pas trop de questions sur ce qui est vrai ou pas. (Elève de 16 ans dans un atelier de « décod’image »).

Des filtres qui troublent notre vision

Les questions récurrentes des jeunes accueilli.es à la fondation images et société concernent avant tout l’influence des modèles de beauté sur nous et le rôle des stéréotypes. Chacun.e de nous est sous influence, alors avec Lubna, une trentenaire, interpellée par le rôle des images dans nos sociétés et friande d’expérimentation avec des portraits de mode, nous avons décidé d’explorer l’application FaceApp pour tester nos perceptions face à différents filtres de retouche instantanée.

 

filtre-hollywoodQuelles différences percevez-vous entre ces deux portraits ?
Prenez le temps pour relever les subtilités du filtre « hollywood » utilisé sur l’image de droite à son degré maximal de 4.

Au fil de nos expérimentations, cette amatrice du monde des images s’est souvenue d’une photo vue sur les réseaux sociaux et qui ressemblait à une de ses amies d’Egypte. Après avoir contacté cette dernière, il s’est avéré qu’elle était passée de la « chirurgie numérique » à la chirurgie esthétique pour ressembler à son selfie.

Notre co-exploratrice s’interroge: « On voit tellement de visages lissés et les effets de lumière sont si flatteurs… Où posons-nous les limites sur le degré de transformation de nos portraits ? Au début, on sait qu’il s’agit d’un filtre, mais il suffit d’un clic et notre regard s’habitue déjà au visage amélioré. Jouer avec son look est addictif et on peut ne plus se sentir complètement à l’aise avec notre apparence, quel que soit notre âge. C’est assez perturbant quand en plus des gens valident nos portraits embellis… Et comment repérer les portraits fabriqués par l’intelligence artificielle et ceux de faux comptes de réseaux sociaux ? »

Aiguisez votre regard et votre conscience

filtre-cuteLe portrait original et trois degrés du filtre « cute » (mignonne).
En cliquant pour faire la transformation, on la remarque. Ensuite on s’accoutume et il devient malaisé de repérer la variation, mais entre plusieurs images à choix, nous préférons souvent la plus retouchée.
Regard sous influence ?

 

 


thomas fille
eva

Trois portraits de départ, teintés par les filtres « hollywood », « charme », « kiss ». Sur les visages de personnes jeunes, les nuances sont à peine perceptibles. La peau semble adoucie et les reliefs sont atténués (voir les deux gif animés ci-dessus). Avec une photographie de quelqu’un de plus âgé, les caractéristiques des filtres ressortent davantage: une touche de glamour avec des cils soulignés et une peau brillante, un air plus coquin  par des joues arrondies et un teint plus clair, lèvres botoxée pour un filtre « baiser ». Les effets sont plus proches d’une esthétique de publicités pour soins cosmétiques que d’un portrait de célébrité façon studio Harcourt. Ainsi nos préférences sont formatées au fil des codes à la mode.Les portraits de l’homme et la série horizontale de quatre visages sont la propriété de la fondation images et société.

Où commence le fake ou mensonger en art, pub et au quotidien ?

Les portraits peints durant les siècles passés avaient aussi leurs codes de représentation idéalisée. Mais avec une photographie, l’illusion de « copie du réel » est plus prégnante. Une plage comme fond d’écran sur un ordinateur nous détend déjà. Pourtant, même un lever de soleil n’est pas un simple duplicata d’une réalité, mais une transcription comportant des luminosités différentes de l’original, dont nous avons fait l’expérience. De plus, chacun.e voit au travers des lunettes teintées par son bagage culturel et émotionnel. Alors pour mieux nous connaître, et comprendre l’influence des images en nous et autour de nous, autant passer du « voir sans voir » de notre quotidien à un « voir malin » plus conscient, qui nous donne un espace de choix.

 

diva à la montreComment distinguer l’original de la copie ? Quelles modifications remarquez-vous sur le portrait de droite par rapport à la publicité originale à gauche ?
Aviez-vous remarqué les yeux légèrement agrandis (+50%) et la bouche moins charnue (+100%) ? Retouches avec PhotoDiva.

Unir nos compétences autour de la littératie visuelle

Malgré toutes les déclarations des mouvances body positive, notre idéal de beauté féminine semble profondément marqué par les créatures irréelles et figées dans la jeunesse, mises en avant dans tous les médias. Dans le même temps, films ou publicités regorgent de faciès masculins de tous les âges à l’air sombre. Nous sommes nombreux à porter un regard de juge extérieur sur nous-même et à vivre aliéné de notre corps et de nos ressentis. Pour notre mieux-être dans un environnement désorientant de modèles inaccessibles, il est temps d’unir nos compétences pour démocratiser la littéracie visuelle1, car savoir voir (au-delà de la beauté plastique de l’emballage) est devenu aussi important que savoir lire (entre les lignes d’un texte). Bienvenue sur le blog de la fondation images et société sur le site de L’illustré.

 

1. Littératie visuelle, capacité d’interpréter et d’analyser une information visuelle

Des liens complémentaires
La beauté numérique nuit-elle aux ados ? fondation images et société, 22 mars 2019
Regard sous influence fondation images et société,. 28 octobre 2018
A quoi sert le « décod’image » ? fondation images et société, 22 avril 2016

 

Eva Saro

Eva Saro est l’initiatrice des activités didactiques de la fondation images et société. Ateliers et expositions sont nés de trois décennies de collaborations avec musées, écoles, programmes de santé et entreprises. L’approche de « décod’image » d’Eva a été sélectionnée par les Netdays européens et The Learning Eye (éducation à l’image pour adultes). Son activisme socio-culturel l’a amenée à transformer des affiches de rue avec des jeunes. La co-création est aussi au cœur de la plateforme EyeSmart.

2 réponses à “Pourquoi apprendre à voir malin ?

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