L’équitation, ce sport où l’on aime celui que l’on peut dominer

Annika Schleu, compétitrice équestre allemande a fondu en larmes au cours d’une épreuve au Pentathlon, aux J.O. de Tokyo, le 6 août 2021. En cause, « Saint Boy » qui a refusé d’obtempérer. Les pleurs, les coups de cravache et d’éperons ne lui ont pas fait entendre raison. Il a dit non. Mais pourquoi diable, a-t-il dit non ? Dans un monde où les petites filles et certains garçons ont été conditionné-e-s à croire que « quand on aime les chevaux, on leur monte dessus et on leur fait faire ce qu’on veut » et qui plus est, qu’ils aiment ça, difficile de remettre en question cette pratique dominatrice ancestrale semblable à un jeu « SM » où le dominé n’a pas donné son consentement.

 

« Saint Boy », cet esclave impertinent qui a osé résister

 

De nombreux médias ont relayé l’affaire « Saint Boy et Annika Schleu », duo qui a suscité beaucoup d’émotions diverses et contradictoires. Il a été question d’un « cheval impétueux » ayant fait vivre l’enfer à sa pauvre cavalière, Annika, qui avait tant travaillé pour cette compétition. L’indomptabilité « irrationnelle et inattendue » de Saint Boy l’éjecte en fin de course, elle qui était promise à la 1ère place. Les projecteurs sont massivement tournés sur le visage mu par les larmes de ladite cavalière. Les mots de compassion à son égard défilent. Aux yeux du monde, les sanglots de la dame ont noyé les coups de cravache et d’éperons qu’elle a dégainés dans un désespoir perceptible. Pauvre Annika. Elle qui, bercée par les fondements de la compétition, s’est retrouvée reléguée à la 31ème place d’une compétition absurde où les chevaux, à l’image des voitures, sont des outils qui se valent et que l’on peut « tirer au sort ». Ainsi, on a pu lire à tort et à travers, les qualificatifs méprisants du monde à l’égard de Saint Boy : « Saint Boy, présumé coupable », « Saint Boy, plus têtu qu’une mule », « Saint Boy a fait vivre un cauchemar à Annika », « Saint Boy, révélateur de la cruelle réalité d’une compétition où la cavalière donne tout et perd tout ». Voilà. Voilà comment, aujourd’hui, en 2021, un résistant à une oppression est qualifié.

Mes propos donneront peut-être cette impression que ma compassion envers Annika est cynique et limitée. Certes. Mais j’en ai malgré tout. De la compassion, de la tristesse même, de voir une femme sensible, s’être faite prendre au piège de la réalisation personnelle par la compétition et la domination. Un problème de société que je pourrais dénoncer dans un essai entier, si j’en avais la patience (et le temps). Ma compassion pour Annika est limitée de par le fait que dans cette histoire spécifique, on invisibilise comme d’habitude, la victime. La véritable victime de ce grand théâtre qu’est la compétition équestre : Saint Boy. Avec un nom pareil, on pourrait croire de lui qu’il est un messie inégalable. Non, Saint Boy n’est pas un messie, ni un compétiteur né. Saint Boy est un cheval qui a sans aucun doute été cassé par ce que le milieu équestre appelle « le débourrage ». Cette pratique qui vise, pour faire simple, à soumettre un équidé pour qu’on puisse lui grimper dessus et lui faire faire des tours. Saint Boy est donc un cheval parmi tant d’autres, qui a été soumis par la main humaine pour devenir le champion d’un milieu où le concours est le seul socle solide et respectable, que l’on trimballe d’un pays à l’autre dans un van, que l’on détient dans un petit box en dehors des temps de « travail ». Un cheval qui n’a pas envie d’être dominé, qui l’exprime, et qui se prend des coups de cravache en retour. Sans compter les insultes et les coups de poings qui lui ont été assénés par la suite, valant, à mon plus grand étonnement, l’exclusion de la coach d’Annika, Kim Raisner. Comme quoi, lorsque certaines pratiques courantes de maltraitance sont rendues publiques, elles sont punies. Si Saint Boy a refusé de sauter, que son regard traduisait une peur panique, s’il n’a pas « connecté » avec Annika, ce n’est pas parce qu’il est « têtu ». Si Saint Boy a refusé de concourir, c’est parce qu’il n’est pas une machine que l’on peut enclencher et déclencher à sa guise. Saint Boy est un animal sensible et conscient. Un individu qui est capable de ressentir des émotions, qui a des besoins fondamentaux, qui peut avoir peur, qui peut être en colère. Et le 6 août 2021, il a résisté à une situation pour laquelle il n’avait pas donné son consentement. En cette date, il a dit non. Il a dit stop ! À l’image des quelques rares taureaux dans les arènes de corrida qui parviennent à encorner les marionnettes psychopathes qu’ils ont en face et qui les mutilent, Saint Boy a mis à terre deux cavalières durant ces J.O. Il est sympa, il ne les a pas piétinées. Mais son esprit libre s’est positionné.

Alors oui, il est à mon sens possible de créer une relation avec un cheval où les deux parties ont du plaisir à aller se balader ensemble. Oui, il est à mon avis possible de monter sur un cheval qui montre explicitement qu’il est d’accord avec cela. De partir à la découverte des champs et des montagnes ensemble, dans une relation de complicité et sans les artifices dont le milieu équestre se vante : mors en métal dans la bouche (pour lequel on va parfois jusqu’à arracher certaines dents qui empêchent au mors de bien s’installer dans la bouche), selle en cuir, sangle au ventre, cravache et autres éperons. Avec ses artifices et dans un contexte de compétition, l’équitation est une forme de jeu « SM » où le dominé n’a pas envie de l’être. En d’autres termes, c’est de l’esclavage (Définition : n.m. / Fait pour un groupe social d’être soumis à un régime économique et politique qui le prive de toute liberté, le contraint à exercer les fonctions économiques les plus pénibles sans autre contrepartie que le logement et la nourriture.).

 

Soumettre pour mieux aimer

 

Mes mots sont crus mais je me le permets parce que je parle de cela en connaissance de cause. Moi aussi, enfant, j’ai cru que la seule manière d’être en relation avec un cheval, c’était de lui monter dessus. De le faire tourner en rond dans un manège. De le cravacher s’il n’avance pas assez vite. De tirer sur le fameux mors pour le faire ralentir ou le faire aller ici ou là. De lui faire passer des obstacles, parce qu’il « aime être stimulé ». C’est sûr qu’en passant plus de vingt heures par jour dans un box de quelques mètres carrés, les chevaux ont besoin d’être stimulés. Autorisés à sortir seulement le temps des cours d’équitation où des petit-e-s apprennent à les dominer, dans un carré de sable, il y a de quoi se résigner. On m’a appris à les soumettre. À considérer les balades en nature comme des exceptions au travail que l’on doit accomplir sur son cheval. On m’a assuré que je devais pouvoir monter n’importe lequel si je savais être ferme. Donc moi aussi, j’ai un peu été Annika pendant quelques années. Je dis un peu car enfant déjà, je crois que j’avais compris qu’il y avait un problème. Et un problème profond. Après deux tentatives de compétition à tout petit niveau et le brevet d’équitation passé, j’ai vite capté qu’être en relation avec un cheval, l’écouter, le respecter pour ce qu’il est, ce n’est pas de lui grimper sur le dos pour lui imposer une pratique que nous avons décidée de manière unilatérale.

Ce n’est pas aimer, que de soumettre quelqu’un-e à ses propres désirs. Ce n’est pas aimer, que de forcer quelqu’un-e à effectuer des tours et des détours pour flatter notre égo. Ce n’est pas aimer, que de s’approprier autrui, de le dompter, de le vendre, de l’acheter, et de l’envoyer potentiellement à la boucherie le jour où il ne répond plus à nos exigences. Oui parce que de cela, on ne parle pas ouvertement, dans le monde de l’équitation. Mais c’est ainsi. À l’image des vaches laitières qui ne produisent plus assez, les chevaux de compétition sont souvent envoyés au couteau dès qu’ils ne servent plus. Boum. Une tige perforante dans la tête et la gorge ouverte. Quelle belle fin que l’on offre à ces créatures majestueuses que l’on a retirées de leur milieu naturel pour en faire des vélos de chair et de sang. Alors oui, quelques-uns de ces équidés auront la chance de terminer leurs jours dans des lieux de retraite. Mais ils sont rares. Car rares sont les cavalier-ère-s qui acceptent de payer mensuellement une somme « dans le vide » pour un cheval qui n’est plus rentable.

 

Communier plutôt que dominer

 

Le cheval dont je m’occupais à l’adolescence, lui, a eu cette chance. Son « propriétaire » semblait avoir un cœur un peu plus ouvert. « Oleman Black » fut le dernier cheval sur lequel je suis montée. À « cru », à savoir sans selle sur le dos, au licol, soit sans mors en métal dans la bouche, et moi en tongs, nous partions de longues heures nous balader dans les bois. Il galopait à toute allure là où des prairies l’appelaient. Je ne portais pas de bombe sur la tête et ne suis jamais tombée. Nous avons cavalé ensemble, libres et épanouis. Au retour à l’écurie, je subissais les regards médisants et les insultes des cavalières « de haut rang » qui me traitaient d’inconsciente. Je n’ai jamais été très friande des relations sociales « par principe », je ne parlais donc à personne dans ce lieu où les apparences, le prestige et la compétition dominent les amitiés. Ce qui m’importait, c’était de pouvoir m’évader avec « Ole » plusieurs heures par semaine. Nous étions complices. Je ne pouvais pas monter sur n’importe quel cheval et espérer cette même fusion. Et lui, mettait par terre facilement les personnes auxquelles il n’était pas connecté émotionnellement.

Quand il est parti à la retraite, quelque part en Normandie, j’ai spontanément décidé de ne plus continuer à « faire de l’équitation ». Les chevaux étaient pour moi des ami-e-s, comme pouvaient l’être des chiens, des chèvres ou des cochons. Et si je relationne avec eux aujourd’hui, ce n’est que dans une perspective de respect et de soin. Tawaki et Loona, les deux chevaux cohabitant au sanctuaire de notre association Co&xister en sont les témoins, bien que je rêverais pour lui et elle de pouvoir retourner dans les steppes immenses qu’arpentaient leurs ancêtres.

Les chevaux devraient être aussi libres que possible. Libres de toute forme d’exploitation, normée ou non. Libres de pouvoir galoper dans de grands espaces sans personne sur le dos. Libres de pouvoir s’émanciper, vivre et mourir sans rapport de domination. L’équitation à proprement parler n’est pas synonyme d’amour, encore moins de liberté. L’équitation est à l’image des autres pans du spécisme* : de l’exploitation qui dénature des individus sensibles qui n’ont pas demandé à être considérés comme des trophées de course. En somme, l’équitation compétitive doit être abolie pour laisser la place à une autre manière d’être en relation avec ces êtres merveilleux que sont les chevaux. Le fameux dessin animé Spirit devrait nous en inspirer et réveiller notre coeur d’enfant. Ainsi, dans un monde idéal, Annika Schleu irait observer un troupeau de chevaux sauvages dans leur environnement, s’assiérait les fesses sur la Terre, avec pour seule intention d’apprendre à les connaître, à écouter leurs besoins, à observer leurs relations. Laissant ainsi la possibilité à l’un ou l’une d’entre eux de s’approcher d’elle seulement s’il ou elle le désire, pour faire plus ample connaissance. Sans autre attente que celle d’une rencontre authentique, d’âme à âme.

 

*Spécisme : discrimination arbitraire des autres animaux sur le critère de l’espèce, justifiée par la croyance en la supériorité des humain-e-s face aux autres animaux.

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Virginia Markus

Avant de la décrire comme une auteure activiste, co-fondatrice de l'association antispéciste Co&xister, il faudra décrire Virginia Markus comme une humaine. Avec ses failles et ses ambitions. Alors qu'elle passait son temps à argumenter dans différents contextes, elle se dédie désormais à son sanctuaire pour animaux. À ses heures perdues, elle griffe encore quelques lignes.

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