Un coeur, la mort et un cochon

C’est une histoire de coeur, avec un grand C(ri).

Le 7 janvier 2022, un cœur de cochon génétiquement modifié a été transplanté dans le corps d’un humain « condamné » à mourir (un pléonasme, donc). L’expérience est décrite comme une « prouesse médicale », un « miracle » de la science. À mes yeux, et dans ceux des principaux concernés, les cochons, l’expérience est digne d’une fiction morbide dans laquelle les humain-e-s se sont érigé-e-s en déités à l’orgueil criminel. Sauf que la fiction n’y est pas, et que le scénario est tristement bien réel. Comment diable, ce que l’on appelle « l’Humanité », a-t-elle pu en arriver là ?

 

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Depuis le début de l’année, un homme de 57 ans, vivant aux États-Unis et « à l’insuffisance cardiaque » s’est vu transplanter le cœur d’un être sensible qui n’avait rien demandé. En soi, le cochon n’avait pas sa carte de donneur d’organes consentent, mais on le lui a pris. Parce que le sien n’a pas, aux yeux d’une majorité d’humain-e-s, de valeur propre. Une discrimination plus communément appelée « spécisme », par analogie au racisme et au sexisme ; soit la croyance selon laquelle les humain-e-s sont supérieur-e-s aux autres animaux, à qui l’on accorde le droit de vivre seulement s’ils servent les intérêts des premier-ère-s (évidemment). Un dogme dont il est urgent de briser les fondements.

Des humain-e-s dont le cœur est tellement malade vont donc, avec l’aide évidemment désintéressée d’une gentille équipe de « médecins » et autres « scientifiques » avides, jusqu’à s’approprier celui de ceux qui l’ont pur et innocent. Aujourd’hui les cochons, parce que pratiquer l’exercice sur des chiens choquerait bien trop intensément l’opinion publique. Au fait, en quoi le cochon serait-il moins digne de recevoir de la considération, que le chien ? Demandez-le-vous.

 

Mourir : renier l’inévitable

Dans ce scénario aux fondations dominatrices, le tabou de la mort dans nos sociétés déracinées des valeurs essentielles que l’on ne nous a pas apprises sur les bancs de l’école, prédomine. La « prouesse médicale » ainsi décrite n’est finalement que la conséquence d’une peur panique de ne plus exister en tant que « moi » et de retourner dans le ventre de la terre. Paniquer à l’idée de ne plus sentir son cœur battre lorsque l’on sera mort-e-s, alors que nous n’avons vraisemblablement pas appris à le sentir battre de notre vivant. Et lorsque l’on n’a pas appris à bien vivre, on n’apprend pas à bien mourir, ça paraît logique. Ainsi, mourir, c’est tabou. Mourir, c’est être vulnérable. Mourir, c’est accepter l’idée que nous ne sommes pas des électrons libres et intouchables, déconnectés de la nature de toute vie. Mourir, c’est être humble, c’est accueillir notre petitesse, c’est prendre acte du fait que notre enveloppe corporelle soit périssable. Mourir, c’est en somme réaliser que nous nous sommes incarné-e-s en chair et en os sur cette terre. Et donc, c’est réaliser que l’on va y retourner, à un moment donné.

De cette hantise existentielle, les humain-e-s vont façonner leur monde. Un monde chaotique, mais qui donne l’illusion d’être rassurant : un monde où les désirs, les plaisirs, l’obsession de la jeunesse et du paraître ont le dessus sur l’éthique, la compassion et l’altruisme. Un monde où l’on ne meure pas, mais où l’on peut tuer tout le monde (de différentes façons). Un monde dans lequel on consomme par frustration et où l’on jouit par désespoir. Où l’on se rend malade par ce que l’on mange et où l’on a l’illusion de se soigner avec ce que la pharma nous met sous le nez. Où l’on se tue dans une tâche insensée qui sert des intérêts insensés, édictés par des institutions insensées. On s’empiffre de la mort des autres, pour se sentir vivant-e-s. Pour se sentir « libres » de consommer ce que l’on veut, quand on veut. De consommer qui l’on veut, dans notre assiette comme dans nos relations. Et si l’on souffre, alors les autres doivent souffrir aussi ; si l’on ne peut échapper à notre propre consomption, alors, nous devrons emporter les autres avec nous. Parce que nous avons non seulement peur de la mort, nous avons aussi fondamentalement peur d’être seul-e-s, tout en ne supportant pas de considérer les autres pour ce qu’ils et elles sont : les autres humain-e-s, les autres animaux, les autres êtres vivants dans cette maison qui nous est commune, la Terre.

De notre incapacité à accepter la mort comme une étape intrinsèque à la vie, découlent des pratiques abjectes dont les enjeux éthiques défendus sont on ne peut plus absurdes. Demandons-le-nous : de quel droit décrète-t-on que la vie d’un seul humain est évidemment plus importante que celle de cent cochons ? Même d’un seul cochon ? La prétention et l’autoproclamée supériorité des humain-e-s sur le reste du monde les coupent spontanément du sujet principal de cet exemple sociétal illustré par une transplantation transgénétique : leur cœur. Une civilisation hors-sol qui ne sait plus écouter son cœur, voilà ce qu’il en est.

 

“Il existe un lien direct entre la culture du divertissement qui s’empare d’une société, et le fait que cette société est coupée de la nature. Il n’y a plus de prise à la terre, plus de contact direct avec la sagesse apaisante des cycles et les enseignements du vivant, Et surtout, il n’y a plus d’effort à faire. Le coeur, source du courage et de la vaillance, source de la force et de la lumière, perd son utilité, et comme un muscle qui cesse d’être mis à contribution, il se gâte, se pétrifie.”

(“Mère, l’enseignement spirituel de la forêt amazonienne“, Laurent Huguelit, pp. 114-115)

 

Écouter son coeur battre, plutôt que de se battre contre

Notre monde n’a pas seulement besoin d’alternatives à la recherche médicale ou de solutions high-tech à la santé que nous n’avons pas appris à préserver, notre monde a besoin d’êtres humains prêts à se reconnecter à leur humilité. À la compassion qui animait leur cœur d’enfant. À la Terre qui les accueille avec une tolérance difficilement compréhensible. À leur responsabilité en tant que citoyen-ne-s d’une planète sur laquelle ils et elles ne sont pas les seul-e-s à détenir le droit inconditionnel à vivre. Enfin, notre monde a besoin d’êtres humains qui apprennent à bien mourir. Pour mieux vivre et laisser vivre.

Notre civilisation n’a pas besoin d’un cœur de cochon ou d’un cœur artificiel, elle doit apprendre à écouter le sien propre. Elle doit apprendre à le sentir battre, à le chérir, à en prendre soin. Elle doit apprendre à cultiver ce qui le fait vibrer, et non ce qui l’épuise. Elle doit l’apprivoiser et le remettre au centre de ses actions. Quelles qu’elles soient. Elle a besoin d’apprendre à le régler à nouveau sur la fréquence de l’amour. En se connectant à son cœur plutôt qu’à ses peurs, notre civilisation ne recourrait pas à la technologie pour se sentir vivre. Elle ne se laisserait pas berner par l’illusion d’une vie libre dont les fondations sont des chaînes mouvantes.  Avec un cœur pur, les humain-e-s sauraient rendre à la vie son aspect sacré. L’aspect sacré de sa vie propre, mais aussi celui de la vie des autres.

 

 

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Virginia Markus

Avant de la décrire comme une auteure activiste, co-fondatrice de l'association antispéciste Co&xister, il faudra décrire Virginia Markus comme une humaine. Avec ses failles et ses ambitions. Alors qu'elle passait son temps à argumenter dans différents contextes, elle se dédie désormais à son sanctuaire pour animaux. À ses heures perdues, elle griffe encore quelques lignes.

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