Ceuta ou la rançon de notre honteux bien-être

Ceuta est une enclave.

Depuis plus de quinze siècles, elle balade ses frasques entre phéniciens, romains, berbères et musulmans. De domination en domination, elle a fini par conclure un pacte avec la mer, dirait-on. Entre l’eau espagnole dont elle revendique les veines sombres et les Mur Royaux qui la séparent du Maroc qui la convoite, elle est terre d’accueil, refuge, patrie d’un jour pour moins que rien.

Et depuis quelques jours, elle est le lieu de la honte.

Du que pouvons-nous y faire.

De la pérennité d’un silence qui est coupable d’emblée.

Nous avons tous en tête les images auxquelles je me réfère. Ce bouclier d’hommes et d’enfants qui s’érigent dans la chair de la Méditerranée, dont on parlera à nos enfants, à nos petits enfants comme on nous a parlé des atrocités nazies, en disant on ne savait pas, on n’y pouvait rien, cela faisait partie d’enjeux politiques auxquels on ne comprenait rien.

Ces images, c’est le label noir de nos sociétés. la coulée de boue de nos démocraties glorieuses. Notre confort, durement gagné à coup de murs, de nappes de pétrole et de démarcations.

Je ne suis pas toi, je suis moi. Mon pays n’est pas le tien, c’est celui de mes ancêtres. Tu ne gagneras pas mon pain, ma langue n’est pas la tienne.

Nous avons oublié. Enfoui la grâce sous l’existence, le sens de la vie dans les charniers. A chaque fois, nous faisons en sorte d’oublier un peu plus, de gagner la confiance de nos envies en poussant les soupçons un peu plus loin, là où personne ne viendra les chercher, pas même les psys. 

Les océans regorgent de plastique. Voilà un combat qui nous convient.

Le plastique, c’est une matière qui se manie. Qui se suce. Qui se broie laisser de traces. Qui laisse le coeur propre, les yeux fermés. Et qui permet de ne pas trop penser au gouffre dans le gouffre, à la mère dans la mer. A l’enfant sauvé des eaux. Au père, au fils, au jeune enfant que le ressac nous renvoie, parfois plein d’air dans les poumons, prêt au regard qui le tuera, parfois déjà englouti, pauvre battant battu par des eaux mortes.

Notre frère, notre fils. Notre créature revenue des flots.

Notre cerveau a fini par nous convaincre que nous n’étions pas responsables, pas concernés. C’est un jeu d’enfant pour lui. Il créé des mondes inconcevables, des certitudes sur quoi bâtir des empires, des enjeux d’outre-vie. L’illusion de l’innocence est une bagatelle pour lui.

Et si.

Partager

Simona Brunel Ferrarelli

Simona Brunel Ferrarelli est une genevoise d’adoption d’origine italienne et de culture française. Son éducation humaniste la fait se sentir profondément citoyenne du monde et ouverte aux cultures européennes. Chroniqueuse, enseignante, écrivain, elle porte un regard fortement critique sur la société actuelle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *