Lettre ouverte au CF au sujet des librairies

Lettre ouverte au Conseil Fédéral après l’annonce de la fermeture des librairies

Monsieur le Président de la Confédération, Mesdames, Messieurs,

Voici un an, presque jour pour pour jour que le monde s’est effondré sous le poids d’une pandémie dont nous ignorons encore la provenance, la teneur, la nature même, si l’on s’en tient aux différentes versions de la bête fournies par l’OMS.

La planète entière a subi la dictature et la violence de la première et de la deuxième vague avec ses victimes, ses dégâts collatéraux. Chaque gouvernement a fait selon conscience pour rendre la monnaie à l’ennemi, opérant des choix, bâtissant des camps, luttant au mieux.

Pour ma part, je ne suis ni un chef militaire, ni un médecin. Je n’ai donc pas grand-chose à dire en ce qui concerne les décisions qui ont été prises sinon que je veux croire qu’elles procèdent d’une priorité absolue, celle du bien et de la santé publiques et je vous en remercie.

J’ai toujours, pendant cette année sinistre, remercié le ciel de vivre en Suisse, patrie de l’excellence des soins, de l’abondance de ressources et d’un savoir-vivre qui vous a permis, au moment de la première offensive, de compter sur le bon sens et la citoyenneté de chacun pour endiguer l’épidémie.

Nous avons assisté, au milieu des efforts de tous, à la naissance d’une lame de fond qui, sans que nous lui donnions de l’espace et de l’importance ici, a fini par créer un contexte de méfiance envers les institutions, une tendance libertaire contre des règles soi-disant liberticides, un mouvement qui se voulait indépendant et original et qui, au final, représente aujourd’hui tout ce qu’il y a de plus ordinaire et de plus traditionnaliste.

Nous savons qu’au moment des grandes crises, il y a toujours une voix qui s’élève pour indiquer la sortie. L’Histoire le rappelle sans arrêt.

Je ne suis pas de ceux-là, qui contestent.

Je suis de ceux qui, jusqu’ici, ont obéi avant les ordres, se sont confinés avant le confinement et ont porté un masque avant vous. Lorsque, en l’absence d’un stock suffisant pour la population, vous proclamiez que ceux-ci n’étaient pas nécessaires.

Je suis de ceux qui ont essayé arithmétiquement et dans l’ombre de protéger son prochain en renonçant aux vacances, aux anniversaires, à la foire d’empoigne de Noël et des soldes d’hiver.

C’est donc avec beaucoup de surprise que j’apprends en même temps la fermeture des librairies en tant que commerces non-essentiels et votre projet d’autoriser la prostitution.

La situation est pour le moins antinomique, énigmatique, saugrenue.

Comment comprendre une sanction aussi abyssale envers le commerce des livres à l’instant même où la promiscuité (fonction première du négoce du sexe) devient licite, à la barbe de tous ces petits et honnêtes commerçants qui font faillite pour des raisons d’État ?

Et avant même de vous demander de quelle façon vous entendez faire respecter les gestes barrière dans le domaine du sexe, je vous demande humblement en quoi les coiffeurs les fleuristes et les putains seraient-ils plus essentiels que la lecture.

En quoi les petits commerces favoriseraient-ils davantage l’épidémie que les grandes surfaces.

Pourquoi les écoles restent ouvertes et les bus circulent si les boutiques, les cafés, les restaurants ferment.

Ce sont des questions pleines de questions, je le sais bien. Mais ce sont des questions que beaucoup de mes concitoyens aimeraient vous poser, tout en sachant que, dans le respect qui est le nôtre, et sur lequel vous pouvez compter, il s’agit moins de recevoir des réponses que des solutions concrètes, durables, cohérentes avec la vie de chacun.

Et la confusion est de taille face à une ordonnance fédérale qui annonce que la lecture est moins essentielle que le ski, le bricolage et la prostitution.

Il est surprenant de constater que les joggeurs sont à pied libre, avec leur lot de particules aérosol, leurs crachats et leurs sarclages de nez en pleine course, l’impossibilité pour eux de respecter les distances requises et la nôtre d’endiguer notre hargne, lorsque nous nous prenons une quinte de toux dans le visage.

Je pense, pour ma part, que la fermeture des petits commerces est une claque donnée en silence à des millions de braves gens qu’on a abandonné, livré à l’obscurité deux mois durant, le temps de laisser une épidémie devenir une pandémie.

Et que l’effondrement de chacun est l’affaire de tous.

Et qu’il faut, maintenant, accuser cette responsabilité.

Je pense que la condamnation des librairies va dans le sens de ces décisions erronées. Qu’il nous plonge dans une ère d’obscurantisme dont les effets seront sans doute plus difficiles à assainir que cette pandémie.

Les musées.

Les théâtres.

Tout cela est moins essentiel qu’un salon érotique ? Voyons ! L’Histoire nous regarde. Veut-on vraiment que, plus tard, on retienne cela de notre nation ? Qu’au plus haut de l’effondrement, lorsque toute la planète, à genoux, cherche un sens à ce fléau, on mette la pensée en pause pour ouvrir un bordel ?

Notre jeunesse est à l’arrêt. Elle ne sait pas où cogner ses résolutions, où regarder pour fixer des objectifs. Elle ne peut même pas suspendre ses lectures, parce que la plupart d’entre elle ne lit presque plus, qu’elle a été empoignée par les technologies, qu’elle est dirigée par elles, et que ce n’est qu’une minorité qui, encore, trouve de quoi se nourrir dans un endroit tel qu’une librairie. Perdre cette minorité c’est exposer toute une génération future à une délocalisation de la pensée, un appauvrissement de l’âme, voire pire.

La plupart de nos jeunes n’ont pas lu La Peste. Ils affrontent cette période désemparés, désunis, accablés par la responsabilité d’une transmission passive. Tout ce qui était leur quotidien est devenu une unité carcérale, dépourvue d’intérêt, de surprise, d’avenir.

Comment tomber amoureux avec un masque et des gants ?

Comment passer de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte avec l’angoisse d’un toucher meurtrier, d’une bise clandestine ?

Alors oui, ils ont leurs téléphones. Leurs tablettes. Même le sport est interdit. Mais ils ont leurs supports technologiques, ces prolongements des méninges et des bras qui annihilent la conscience.

L’occasion est rêvée pour leur offrir un temps de réflexion.

Nous avons vu, en prison, des détenus changer d’horizons, passer des brevets, faire des cursus universitaires. Le confinement peut être une bénédiction si on sait l’exploiter.

N’interdisez pas l’accès aux livres, au contraire, faites-en votre cheval de bataille, votre sceptre, un vaccin plus efficace que le Moderna ou le Pfizer.

Osez laisser le monde penser.

Et nous ressusciterons.

Avec mes plus sincères remerciements, par avance,

 

S. B-F

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Simona Brunel Ferrarelli

Simona Brunel Ferrarelli est une genevoise d’adoption d’origine italienne et de culture française. Son éducation humaniste la fait se sentir profondément citoyenne du monde et ouverte aux cultures européennes. Chroniqueuse, enseignante, écrivain, elle porte un regard fortement critique sur la société actuelle.

Une réponse à “Lettre ouverte au CF au sujet des librairies

  1. Chère Simona,
    J’espère de tout coeur que ceux qui nous gouvernent vous liront, tant ce que vous dites est sensé…

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