Noël en morceaux

Et puis Noël pointe son nez, de loin.

On se rappelle de l’an dernier, à la même époque, lorsque tout était encore à vivre et que nos esprits étaient libres de la malédiction.  Nous allions alors vers ce temps de l’Avent dans une joie habituelle et sereine, songeant à la chaleurs des jours emmitouflés sous la neige, aux cadeaux à offrir, aux repas de famille, aux voyages à l’autre bout du monde, aux treizièmes salaires. Rien n’avait de prix, et du plus chanceux aux plus démunis, un temps immense s’annonçait, fait d’une lumière sans deuils et d’une musique sans chagrin.

On se dit alors qu’on renoncerait à tout aujourd’hui pour rembobiner les images consacrées à la catastrophe qui a paralysés le monde d’un seul coup, qu’on renoncerait à faire bombance et ripaille pour ce seul miracle de se réveiller.

Effacer la divagation d’une colonie de morts et d’effondrements advenus dans la mêlée du confinement.

Se réveiller.

Aller vers un avenir décolonisé du gel hydro-alcoolique, des masques et des vaccins à qui mieux mieux.

Se lever.

Aller vers la sortie de ce tunnel dont on soupçonnerait enfin l’issue sous les auspices d’un sapin décoré sans chichis, avec quelques pommes de pin ramassées sous les feuillées.

Marcher.

Droit devant, à l’endroit où se couchent les morts.

Les relever.

Vous n’étiez pas morts, vous dormiez.

Levez-vous et allez.

Donnez la bonne nouvelle.

Tout est fini ou n’a jamais eu lieu, c’est comme vous préférez, dites ce qu’il faut pour que Noël soit honoré.

C’est le monde à l’envers, oui.

C’est la résurrection en plein hiver, dans une étable, en bout de vie.

Mais ce n’est pas grave.

Poursuivez.

Chantez louange aux pauvres d’esprits qui pensent que tout est bien dans le meilleur des mondes.

Suggérez-leur un bon film sur Netflix pour rester vigilants.

Redressez-vous.

Vous venez d’effacer la postérité.

Ce n’est pas donné à tout le monde.

Souriez.

Lavez-vous les mains et souriez.

Vous êtes parfaits.

Extrait de Gangue (fin)

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Simona Brunel Ferrarelli

Simona Brunel Ferrarelli est une genevoise d’adoption d’origine italienne et de culture française. Son éducation humaniste la fait se sentir profondément citoyenne du monde et ouverte aux cultures européennes. Chroniqueuse, enseignante, écrivain, elle porte un regard fortement critique sur la société actuelle.

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