Ma vie aux couleurs arc-en-ciel

Allongée sur mon lit d’hôpital, les souvenirs défilaient dans ma tête, celle que j’avais été, celle qui ne sera plus… et celle que je pourrais devenir, peut-être…

Artiste de cirque, contorsionniste, trapéziste, je vivais mon rêve, mes passions. Mon corps avait été mon moyen d’expression et d’épanouissement.

Ce 24 septembre 2007, un tsunami s’est levé, a chamboulé ma vie, renversé mes plans et anéanti mes rêves.  Il a fallu reconstruire, recommencer et lever la tête, chaque matin, pour ne pas sombrer.

L’accident m’a ôté mon corps, mon identité et mes objectifs. Le sentiment de ne plus rien valoir m’a rongé, les douleurs morales ont tué mon esprit et la charge affective occasionné une fatigue permanente. Agressions, pertes et même la mort… ces orages traversés depuis ma plus jeune enfance m’ont permis, aujourd’hui, de pouvoir dire « merci ». Merci pour ma liberté de penser, ma liberté de choisir et ma liberté d’agir. Merci à la Vie, car si les épreuves traversées ont laissé des cicatrices, si la paraplégie m’a en quelque sorte coupée en deux, mon âme vibre à 200% !

Je n’ai jamais cessé d’y croire et au fond de moi je savais qu’au bout de chaque tunnel le ciel se dégagerait et laisserait passer quelques rayons de soleil. Parce que l’essentiel, aucun événement extérieur ne peut nous le prendre : la capacité d’abnégation, de résilience et la foi en la Vie.

Je ne pouvais plus faire rêver le public sur les scènes de cirque, cabaret et théâtre, mais il me restait mes mains et ma créativité. Les ballons de baudruche, ces formes légères et colorées me rappelaient des moments lointains d’insouciance, de rire et de gaieté…alors pourquoi ne pas en créer quelque chose de plus grand ? Comme je le dis souvent, rien n’est impossible, c’est seulement pus difficile lorsqu’on vit avec un handicap.

Mon mari et moi nous sommes spécialisés dans l’art des ballons latex et avons créé notre entreprise, un magnifique accomplissement. Canniballoon Team est depuis appelé en Suisse, Europe et outre-mer pour apporter joie et divertissement à travers des sculptures et paysages tout en ballons : monde sous-marin, château fantastique ou labyrinthe géant… Un large espace en Chine nous a permis d’en construire le plus grand au monde à ce jour avec 160’000 ballons, sur 2’500 m2. De quoi se perdre ou simplement perdre ses nerfs avec l’envie de tout éclater pour retrouver un chemin vers l’extérieur.

Un art éphémère comme tout ce qui passe et défile dans notre vie. Éclater un ballon c’est effacer ce qui a existé et redonner un espace libre pour un créer à nouveau. La vie est une éternelle création d’un nouveau lendemain et notre chance est de pouvoir recommencer tous les jours, plus haut, plus grand, plus fort.

S’accrocher au passé, c’est comme ne pas vouloir éclater la création en ballons passée de date. Elle perd de son éclat, flétrit, prend la poussière. Souvent, nous nous accrochons à ce qui a été, à nos joies et succès passés. Le regard tourné en arrière, nous ne voyons plus le soleil qui éclaire le merveilleux panorama devant nous et notre joie en est grimée.

Et devant moi se trouvait une athlète, une athlète handisport, dynamique et remplie de joie de vivre. J’ai tourné mon regard et le handbike m’a emporté dans des nouvelles contrées. Marathons, championnats du monde, premières mondiales, titres et médailles ont nourri cette étape de ma vie de mille couleurs et étoiles étincelantes.

A travers le sport j’ai pu déloger les traumatismes du passé et les transformer en carburant pour atteindre quelques-uns des plus beaux et plus hauts sommets alpins européens. Après de longues heures d’effort, lorsque l’objectif sportif est atteint, mon regard se pose sur le long chemin parcouru et le vent de la montagne me raconte ses secrets :

– Silke, vois-tu ces taches noires dans la vallée ? Elles ne t’appartiennent pas, laisse-les là où elles sont. Ne lâche pas la pression sur tes pédales, avance et au-dessus du brouillard se dressera ton nouvel Everest.

C’est alors nourrie d’une énergie magique, presque irréelle, que je me rends à la prochaine compétition et retrouve les collègues de mon équipe sportive. Je les observe et je les admire car eux aussi me racontent beaucoup de secrets :

La première victoire n’est pas la médaille mais le fait de se mettre sur la ligne de départ. La plus grande victoire n’est pas un record du monde mais celle d’avoir fait ce que hier encore je pensais être impossible. La plus belle victoire n’est pas d’avoir couru un Ironman mais celle de pouvoir embrasser notre destin et de crier de tout son cœur : « Je t’aime ma vie ! »

Photo titre @ Mathieu Rod

Cet handicap invisible : les douleurs chroniques

Elles me réveillent la nuit, elles rendent difficile chacun de mes gestes, elles crispent mon visage qui essaie de sourire… oui, sourire malgré tout, sourire pour déjouer la difficulté.

Maints sujets me sont passés par la tête pour ce premier article de mon blog mais à chaque fois un parasite se ramenait entre mon projet et moi : mes douleurs chroniques, terribles, insupportables ! Et c’est là que je me suis dit, alors pourquoi ne pas aborder ce sujet délicat que depuis si longtemps j’essaie de cacher, ne voulant pas alourdir la vie de mon entourage avec mes problèmes personnels. Aujourd’hui je prends conscience que ce partage pourrait être une main tendue pour ceux qui comme moi, se sentent souvent seuls et incompris dans leur souffrance.

Le combat commence dès qu’on vient au monde, il faut résister, défendre son égo, persévérer. On traverse des épreuves, on en ressort gagnant… ou perdant, on apprend, on évolue.
Les années laissent des cicatrices. Je me suis renforcée psychologiquement et la plupart du temps j’ai réussi à me replacer sur le dessus de la vague. Mais le combat n’est jamais terminé.

Au jour de l’accident qui m’a rendue paraplégique, ce fut la fin de tous mes rêves de l’époque et le début d’une nouvelle étape : ne plus marcher, subir le dysfonctionnement de mes organes de l’abdomen et supporter les douleurs. Des douleurs neurogènes qui martèlent ma chair à chaque instant de ma vie, depuis 11 ans déjà. Je n’aime pas en parler, je n’aime pas me plaindre mais mon visage ne sait pas mentir et parfois il laisse entrevoir ce que je préférerais ne pas devoir vivre.

Le combat mental qu’il me faut mener face à cet agresseur invisible est épuisant et a un impact négatif sur ma concentration au travail et mes relations personnelles. L’effort de résistance mentale est constant et il m’arrive de ressentir une certaine injustice face à tout ce que depuis mon plus jeune âge le destin m’a déjà demandé d’endurer.

Les décharges électriques occasionnées par le frottement des vêtements sur mon ventre et mes cuisses paralysées, les contractions spastiques incessantes et les sensations de coups de couteau dans le bas-ventre sont un calvaire permanent. Me réveiller le matin encore plus épuisée que la veille à cause d’une nuit de lutte, arriver en fin de journée comme si j’avais couru deux marathons et écrit trois mémoires universitaires reflète un état de fatigue que je connais trop bien.
Et pourtant, à hauteur de lésion égale, il se trouve qu’aucune paraplégie n’est identique à l’autre. Des collègues lésés plus fortement que moi ne ressentent aucune douleur… alors pourquoi ? Pourquoi n’y a-t-il jamais de répit, pourquoi moi ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi… ?

A cette question je n’aurai pas de réponse. J’ai aujourd’hui le choix de rester une victime, apathique, assommée par de fortes doses de médicaments ou de prendre mon destin en main et chercher à créer de nouveaux chemins.

Pour éviter une dépendance aux médicaments je suis constamment à la recherche d’astuces pour atténuer la souffrance physique. J’ai appris à utiliser mon mental pour endurer, persévérer et lâcher prise. Une alimentation anti-inflammatoire et la pratique d’un sport d’endurance font partie de mes  remèdes-maison. En observant les liens existants entre mes pensées et mon ressenti je peux consciemment les guider dans une direction choisie.

Pratiquer des exercices de respiration profonde et de visualisation et affronter mes douleurs sans les laisser me submerger font partie de mon quotidien. Parfois je gagne, parfois je perds, quelques instants de soulagement ou une crise encore plus aiguë que la précédente. Mais je veux continuer à pouvoir le dire : « La vie est belle ! »
Vivre à pleine puissance, aimer, savoir nous enthousiasmer devant les merveilles de ce monde et ne pas abandonner car dans la lutte, le vainqueur restera toujours… notre sourire !