“Wokisme” et dictature de gauche ou étroitesse d’esprit ?

Martin Luther King a inventé le mot "woke"
Martin Luther King a inventé le mot “woke”

Samedi 28 janvier, l’UDC, par l’intermédiaire de Céline Amaudruz, a lancé sa guerre sainte contre le
« wokisme » et la « dictature de la gauche », termes employés entre autres dans un article paru dans le journal Le Temps du même jour.

Le mot « woke » fut utilisé pour la première fois par le pasteur Martin Luther King, littéralement pour éveiller la population au combat des minorités

Pour le Larousse, le « wokisme » est une « idéologie d’inspiration woke, centrée sur les questions d’égalité, de justice et de défense des minorités… ». Le mot « woke » fut utilisé pour la première fois par le pasteur Martin Luther King, littéralement pour éveiller la population au combat des minorités, notamment noire aux États-Unis.

La vice-présidente du parti d’extrême droite aurait certes été victime d’une tentative d’entartage lors d’une prise de parole à l’Université de Genève, agora qui a également vu en 2022 deux conférences empêchées par des militantes et militants jugeant, non sans raisons fondées, les écrits des intervenants et intervenantes toxiques pour les droits des personnes discriminées.

Ces cas extrêmes sont à dénoncer parce qu’antidémocratiques, mais de là a les transformer en programme politique visant à combattre celles et ceux qui cherchent simplement à avoir les mêmes chances et opportunités que la majorité est une aberration qui ressemble beaucoup au discours de haine envers l’occident, et sa soi-disant décadence, que l’on entend tous les jours du côté de Moscou actuellement. C’est d’autant plus choquant venant d’un parti qui doit lui-même parfois faire de l’ordre dans les dérives extrémistes de membres ou de sympathisants.

L’UDC entend matérialiser sa guerre contre « la dictature de gauche », d’une part en livrant bataille aux bureaux de l’égalité à tous les niveaux, et de l’autre en empêchant autant que possible l’utilisation du langage inclusif.

Agir pour soutenir l’idée que le mariage est l’union de deux êtres qui s’aiment, c’est œuvrer pour plus d’égalité

Les bureaux de l’égalité ont vu s’élargir leurs domaines d’intervention à bien plus que l’application de la loi fédérale sur l’égalité ou les violences faites aux femmes, bien que cela reste hélas ! un sujet essentiel, grâce aux travaux scientifiques démontrant régulièrement que toutes les minorités sont discriminées dans leur accès au marché du travail, à la santé et plus généralement aux droits dont jouit la majorité. Agir, par exemple pour soutenir l’idée que le mariage est l’union de deux êtres qui s’aiment, c’est œuvrer pour plus d’égalité et non moins comme le laisse entendre l’UDC.

De nombreuses études universitaires prouvent également l’importance du langage dans la construction des stéréotypes de genre qui aboutissent essentiellement à la discrimination des femmes. Le langage inclusif, qui n’est pas qu’affaire de points médians, vise à corriger la règle du masculin générique imposée par l’Académie française au XVIIe siècle au prétexte que « Le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. » (Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647).

Tout comme la lutte contre le dérèglement climatique se base depuis 50 ans sur des faits scientifiques remettant en cause nos certitudes, celle en faveur du droit des minorités et des femmes est fondée sur des faits indiscutables qui bousculent nos préjugés.

S’engager en faveur de ces deux questions si importantes pour notre avenir n’est pas synonyme de « dictature », mais d’ouverture vers un futur dans lequel l’être humain sous toutes ses facettes a toute sa place. Pour cette raison, ce texte est écrit en langage épicène.

Lynn Bertholet, candidate des Vert·e·s au Grand conseil genevois et au Conseil national.

La Fédération internationale de natation (FINA) annonce une nouvelle politique pour inclure les personnes trans*

Dimanche, en marge des championnats du monde de natation à Budapest, la FINA a annoncé que les nageuses trans* ne pourraient plus concourir avec les femmes cisgenres, mais devront s’inscrire dans une nouvelle catégorie dite «open».

Cette décision est le résultat d’un important travail réalisé au sein d’un groupe de réflexion réunissant athlètes, médecins et juristes. À ce stade, je ne sais pas si des athlètes trans* ont également été intégrés·x·es aux débats. J’espère que ce soit le cas car trop souvent les personnes concernées sont exclues des discussions dont elles sont pourtant au centre.

Un équilibre à trouver entre inclusion et équité

ÉPICÈNE, l’association que je préside, a anticipé la question des athlètes trans* dans le sport dès 2020, notamment sous l’interpellation de clubs de football du canton de Genève. Lors de ses deux séminaires de réflexion stratégique de l’été 2021, le comité a conclu que la réponse à apporter devait tenir compte à la fois des intérêts des personnes trans* à pouvoir pratiquer leur sport sans discrimination, y compris en compétition, et de ceux des athlètes féminines cis pratiquant leur sport avec passion.

En effet, une femme trans* ayant fait sa transition sociale est parfaitement reconnue dans tous les droits et devoirs liés à son genre ressenti. Cela y compris dans ses droits à continuer de pratiquer son sport en compétition. D’un autre côté, force est de constater qu’une femme trans* ayant fait une transition médicale après sa puberté conservera, malgré les traitements hormonaux, voire chirurgicaux, qu’elle aura subis, des avantages physiologiques liés au développement de ses masses musculaire et osseuse notamment durant sa phase pubertaire. Ces avantages pourront être maintenus, ou même accentués, par l’entraînement intensif d’une sportive de haut niveau.

Vus du point de vue d’une sportive cisgenre, les avantages précités ne sont pas équitables. Et sans jugement sur la transidentité en tant que telle, les sportives cisgenres peuvent trouver que concourir avec des athlètes bénéficiant d’un avantage physiologique qu’elles n’ont pas forcément choisi, mais qui est réel ne serait pas juste.

ÉPICÈNE pense donc qu’il y a un équilibre à trouver entre deux principes fondamentaux, qui en l’occurrence s’opposent, à savoir le droit des athlètes trans* à être incluses dans tous les domaines de la société et celui des athlètes cis à un traitement équitable sur le plan sportif.

La FINA et les fédérations sportives en général ont trois possibilités.

La première est de contraindre les femmes trans* à continuer de concourir dans les catégories de leur sexe de naissance. Ce serait inéquitable en raison du fait que leur transition médicale leur a fait perdre certaines caractéristiques hormonales masculines et donc qu’elles seraient physiologiquement désavantagées.

La seconde est, à l’inverse, de les laisser participer aux compétitions avec les femmes cisgenres. Dans ce cas, les femmes ayant fait leur transition après leur puberté bénéficieront d’un avantage physiologique et les femmes cis se sentiraient traitées injustement.

La troisième possibilité, retenue par la FINA, est de créer une catégorie spécifique pour les femmes trans*, catégorie que la fédération a désignée par «open». Cette approche nous paraît la moins inéquitable bien qu’imparfaite et laissant ouvertes de nombreuses questions qui ne manqueront pas de soulever beaucoup d’autres débats.

Parmi ces questions, ÉPICÈNE en voit deux qui ne tarderont pas à se poser.

Premièrement, celle du traitement des femmes trans* qui ont fait leur transition avant leur adolescence, à savoir qu’elles ont pris des bloqueurs d’hormones, puis des traitements hormonaux conformes à leur genre ressenti dès l’adolescence. Ces personnes n’auront alors pas développé d’avantages physiologiques liés à leur sexe de naissance. Il serait inéquitable de les contraindre à la catégorie «open».

Deuxièmement, qu’en sera-t-il des hommes trans* ayant fait leur transition après leur puberté. Ces derniers continueront à avoir des désavantages liés à leur développement osseux et musculaire féminin durant leur adolescence. Les faire concourir avec les hommes cis serait injuste, tout comme les maintenir avec les femmes cis. Mais les inscrire dans la même catégorie «open» que les femmes trans* serait sans doute inapproprié également.

Bien d’autres sujets de discussion se révéleront avec la pratique, notamment dans les mouvements juniors… Nous espérons que les personnes trans* seront associées aux débats dans le respect de la diversité des opinions.

En conclusion, je tiens à rappeler, d’une part, qu’une transition n’est jamais un choix individuel pour tirer des avantages éventuels d’un genre perçu ou d’un autre, mais résulte d’une souffrance profonde et durable venant de l’inadéquation entre le genre ressenti et le sexe assigné à la naissance. Et de l’autre que l’inclusion des diversités passe par la prise en compte des ressentis et intérêts légitimes de toutes les personnes constituant une société dans laquelle il fait bon vivre. Dans un monde qui commence seulement à s’ouvrir, notamment sur les transitions sociales sans traitements médicaux aucuns, ce dernier point me paraît essentiel.

Lutte contre les violences homophobes et transphobes

La violence légale faite aux personnes trans* explose

300 textes anti-LGBTQ votés dans les États « rouges » des USA depuis la défaite de Trump

300 textes anti-LGBTQ votés dans les États « rouges » des USA depuis la défaite de Trump, dont la moitié sont anti-trans*, relève le journal Le Monde dans un article paru le 19 avril

Près de la moitié des 300 textes anti-LGBT concernent les personnes trans* qui sont pourtant largement minoritaires dans l’acronyme LGBT. Cela est dû au fait que la protection des personnes transgenres a énormément de retard par rapport à celle des personnes LGB. 

Je ne vais pas revenir ici sur les raisons de ce retard, mais je veux souligner, d’une part, le danger réel qui découle de la politisation de la souffrance des personnes trans*, notamment des jeunes, alors que seule l’approche médico-sociale fondée sur plus de 40 ans de recherche scientifique doit conduire à l’accompagnement ou à la prise en charge de cette souffrance. 

Derrière cette politisation, déjà avancée aux USA et en train de se mettre en place en Europe et en Suisse, se cachent les mouvements évangélistes américains, le radicalisme catholique en France et en Europe, et les partis d’extrême droite partout dans le monde. Il suffit d’écouter certains discours de Zemmour pour s’en convaincre. En Suisse, l’UDC, qui voulait interdire le remboursement des soins aux personnes transgenres en 2007 au parlement, et certains PLR sont dans la même lignée.

“J’ai rarement vu autant de peur et d’agressivité dirigée contre un si petit nombre”

D’autre part, je relève que la violence qui découle de ces positions n’a d’équivalent que la fragilité de la minorité trans* qui vient à peine de sortir de l’invisibilité dans laquelle elle est restée confinée depuis les années 30. Ainsi le gouverneur républicain de l’Utah, Spencer Cox, qui a mis son veto à certaines de ces lois, affirme : « J’ai rarement vu autant de peur et d’agressivité dirigée contre un si petit nombre » (cité dans Le Monde du 19 avril).

Cette violence qui vise à empêcher aux jeunes trans* la pratique du sport ou encore à réintroduire les thérapies de conversion sous le couvert d’accompagnement psychiatrique, comme ce fût, et l’est encore parfois, le cas pour les personnes homosexuelles, est d’autant plus marquée qu’elle s’applique surtout aux soins dont les personnes trans* ont besoin. Par exemple l’Alabama a introduit une loi punissant de 10 de prison toute personne aidant un·e jeune de moins de 19 ans à suivre un traitement hormonal, même si ce dernier est prescrit dans un autre état. Cette loi vise donc non seulement les endocrinologues locaux, mais surtout les parents qui protégeraient leurs enfants en les faisant suivre dans un autre État.

La peur n’est jamais une bonne conseillère. Nous devons faire confiance à la recherche scientifique pour expliquer la croissance du nombre de personnes en questionnement de genre, jeunes et moins jeunes, mais pas stigmatiser leur souffrance et les empêcher d’accéder à la meilleure médecine actuellement connue.

ROGD : à qui profite le crime ?

Quand j’étais petite, j’adorais lire Conan Doyle ou Agatha Christie. Je cherchais constamment le mobile des criminels et cela me passionnait.

Aujourd’hui, en tant présidente d’ÉPICÈNE, je cherche les motivations des personnes avec lesquelles j’interagis, notamment quand je rencontre des jeunes et moins jeunes questionnant leur identité de genre. Mon rôle n’est pas d’évaluer leur motivation, mais de les aider à parler de leur mal être, et de ce qui les rend heureux·ses·x, dans un environnement sûr et bienveillant, sans préjugés. Ainsi, ils·elles·iels peuvent clarifier leur propre motivation.

Mon discours est constant : tu questionnes qui tu es, c’est OK. Tu penses que tu es non binaire, voire trans*, c’est OK. Tu as changé d’avis et penses plutôt être cisgenre homosexuel·le·x, c’est OK. Tu as besoin de temps, c’est OK. Je n’ai pas à te juger ni à penser à ta place ce qui est bon pour toi. Mon rôle est d’attirer ton attention sur les possibles difficultés du chemin que tu pourrais choisir, de te donner de bonnes adresses pour que tu puisses prendre tes décisions en toute connaissance de cause et t’aider durant le parcours que tu choisiras si tu en as besoin.

Et si en fin de compte tu ne veux rien faire, c’est OK. Revenir en arrière après avoir fait le chemin complètement ou partiellement vers l’autre côté de la binarité ? c’est OK. Je serai aussi là pour toi.

Tout cela parce que ta douleur je la connais ; je l’ai vécue. Ça m’a pris 50 ans de pouvoir mettre les bons mots dessus et faire le voyage vers qui je suis. Je comprends ta souffrance et ton désir d’aller vite parfois, parce que je me suis souvent réveillée le matin en pensant que tout avait changé durant la nuit. J’ai aussi été terrorisée à l’idée de décevoir ma famille, mes amis et mes proches, et comme toi, je voulais que tout s’arrête. J’ai aussi eu honte de m’imaginer dans un autre corps et de parfois le vivre en cachette en ayant peur d’être découverte. Alors pour moi, tout est OK tant que tu respectes les choix des autres et le mien.

Depuis des mois maintenant je n’arrive pas à comprendre les motivations des personnes qui luttent avec une énergie et des moyens considérables contre la communauté trans* et discréditent les associations et les professionnels·les·x qui aident les personnes en questionnement.

S’il est normal que des proches, et en particulier des parents, soient surpris·es·x par l’annonce d’un questionnement identitaire, accompagné souvent d’un désir de transition partielle ou complète, et que la peur soit leur premier sentiment, il me paraît étrange de développer cette peur jusqu’à en faire un combat contre son enfant, et contre toute la communauté et les professionnels·les·x qui s’en occupent depuis 40 ans.

Mobiliser la presse par de fausses affirmations, déformer la réalité des faits et des études scientifiques, dénoncer calomnieusement des médecins, insulter la communauté en traitant des personnes simplement bienveillantes de transactivistes autogynéphiles ou de militants transeuphoriques n’apporte pas grand-chose au débat alors qu’il reste tant à faire pour éviter les discriminations dont nous sommes victimes.

Je dois dire que l’immense affiche soutenant dans les rues de Genève un concept qui n’est absolument pas vérifié, sorti d’une étude ayant fait l’objet de lourdes corrections par son autrice dans les mois qui ont suivi, m’amène à me poser deux questions : à qui profite le crime et de quel côté sont les militants dans cette affaire ?

Genève – Les droits des patients trans* bafoués

Les journaux du groupe Tamédia[i] se sont fait l’écho de la mise sous enquête ce printemps de deux médecins genevois ayant pris en charge deux jeunes trans* mineurs, âgés aujourd’hui de 17 et 18 ans.

La « cellule enquête » de Tamédia veut faire croire à une approche sérieuse et professionnelle de son sujet, alors que la lecture de son article révèle tout l’inverse.

Méconnaissance du sujet de base

Le sujet de base est la « dysphorie de genre » (ou « incongruence de genre » selon la CIM-11), qu’elle existe chez un·e mineur·e ou un·e adulte.

L’incongruence de genre est une souffrance profonde et durable qui engendre de grandes difficultés pour la personne qui la vit. Cette souffrance vient principalement de la peur du regard des autres, notamment des proches, et de la crainte d’être jugé·e, voire rejeté·e, par la société parce que la personne ne se sent pas en adéquation avec son sexe assigné à la naissance.

La prise en charge de ces douleurs passe souvent par le corps médical. Modification de l’expression de genre, soutien psychologique, parfois prise d’hormones, ou même chirurgies, sont les traitements les plus appropriés selon les recherches faites ces quarante dernières années en médecine.

Cette prise en charge respecte donc des standards et des protocoles de soins similaires à ceux qui existent dans tous les domaines de la médecine moderne. Tous ces standards placent le patient et son autodétermination au centre de l’approche thérapeutique.

Le journaliste ignore de manière crasse ce principe de base en plaçant au centre uniquement les parents de jeunes ayant leur pleine et entière capacité de discernement, alors que le contraire aurait dû être fait en leur donnant la parole en premier.

Si elle avait eu la moindre idée du sujet, la « cellule enquête » de Tamédia aurait également compris que la transidentité n’est pas un choix et que son traitement médiatique implique le respect des personnes concernées, par exemple en utilisant un vocabulaire approprié et non dégradant. Cela n’a pas été le cas.

Méconnaissance des faits

L’article indique que les jeunes concernés se seraient vu prescrire des hormonothérapies, voire des chirurgies. Cela est faux. Il n’y a eu aucune émission d’ordonnance pour des hormones masculinisantes pour aucun des deux jeunes concernés, encore moins pour des chirurgies.

Les médecins ont seulement indiqué qu’ils estimaient que leurs patients, qui en avaient clairement exprimé le désir, étaient prêts à recevoir de la testostérone et en ont fait la proposition pour une décision partagée, y compris avec les parents. Leur proposition s’est arrêtée là devant les menaces des parents et dénonciations tous azimuts par avocats interposés.

En laissant supposer que la prescription de testostérone à un jeune homme trans* était, ou pourrait être, illégale, la « cellule enquête » montre son incompréhension totale des prescriptions « Off label » qui existent et se pratiquent également dans de nombreux autres domaines de la médecine.

Biais systématiques des données

La « cellule enquête » laisse croire que l’association à laquelle elle donne la parole serait représentative d’une proportion importante de parents opposés à la transition de leur enfant. Mais elle ne donne pas de chiffres.

À ma connaissance, ce sont toujours les mêmes trois personnes qui mettent en avant leur cas. À l’inverse, les associations prenant en charge des jeunes trans* peuvent facilement citer plusieurs dizaines, voire centaines, de famille ayant traversé ensemble cette épreuve difficile.

Conclusion

L’ignorance est parfaitement excusable. Elle se corrige par l’ouverture d’esprit, l’écoute et l’apprentissage.

L’ignorance conjuguée au pouvoir – la presse ne revendique-t-elle pas d’être le 4e pouvoir – est hautement toxique. Surtout quand elle donne à quelques individus la possibilité d’atteindre à la santé de centaines d’autres sur la seule base de leurs préjugés surannés.

L’ouverture d’une enquête en mars 2021, enquête pas encore diligentée à ma connaissance, par la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du canton de Genève est lamentable en soi.

Premièrement parce qu’elle démontre la profonde ignorance du sujet par les membres de ladite commission, deuxièmement et surtout, parce qu’elle se moque du  droit des patients, ces derniers attendant leur traitement depuis six mois maintenant. Qu’en serait-il si on parlait de chimiothérapie ?

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[i] Site web de la Tribune de Genève, samedi 31 juillet 22h19. Le Matin Dimanche du 1er août, p. 6., Site web du 20 Minutes, lundi 2 août.

[ii] Classification Internationale des Maladies, 11e version, approuvée par l’OMS en mai 2019.

52 ans trop tard, IBM présente des excuses à Lynn Conway

Lynn Conway est une femme aujourd’hui âgée de 84 ans

Le 21 novembre, le New York Times reprenait un article de la revue Forbes paru 3 jours auparavant. L’article annonçait qu’IBM avait officiellement présenté ses excuses à Mme Lynn Conway pour l’avoir licenciée 52 ans plus tôt. Lors d’une cérémonie en ligne très officielle menée par la DRH du groupe, Diane Gherson, la société informatique a en effet formellement demandé pardon à Lynn Conway invitée à la réunion.

Lynn Conway est une femme, aujourd’hui âgée de 84 ans, dont les travaux en électronique influencent chaque jour la vie des habitants de toute la planète. Dans son domaine, elle a reçu toutes les plus hautes distinctions professionnelles et académiques.

En 1963, après de brillantes études plusieurs fois interrompues en raison de son mal être, elle obtient son master en ingénierie électronique à l’université de Columbia. Repérée par IBM, elle rejoint en 1964 les équipes de recherche qui travaillent au développement des supercalculateurs de la firme, à l’époque largement numéro un mondial. En 1965, elle invente la gestion généralisée des instructions dynamiques, une avancée essentielle pour le développement des ordinateurs dit « super scalaires » et pour les microprocesseurs.

En 1968, elle est licenciée par le CEO malgré le soutien de son chef direct.

Elle perd le droit de voir ses enfants

Commence alors pour elle une lente descente aux enfers qui la verra perdre le droit de voir ses enfants, d’être obligée de divorcer et de s’enfuir à l’étranger.

Elle revient aux États-Unis près d’une année plus tard et reprend sa vie en mode furtif. Elle trouve un travail au centre de recherche de Xerox à Palo Alto et publie, en 1973, un article (Introduction to VLSI systems) avec le professeur Mead du Californian Institute of Technology. Cette publication devient rapidement la référence pour le design des microprocesseurs. La méthode qui y est décrite s’appelle d’ailleurs la méthode Mead-Conway.

Toujours en mode furtif, sa carrière prend alors l’ascenseur. Elle est enseigne au M.I.T, la méthode Mead-Conway est à la base d’un ambitieux programme du ministère de la défense et de nombreuses start-up de la Silicon Valley.

Mariée à Charles Rogers, sa vie est trépidante. Elle est nommée professeure ordinaire à l’université du Michigan, donne des conférences dans le monde entier et reçoit de nombreuses récompenses professionnelles.

Mais en 1999, des journalistes qui écrivent sur l’histoire de l’informatique recherchent le brillant ingénieur ayant inventé la gestion généralisée des instructions dynamiques chez IBM.

Sentant qu’elle va être découverte et qu’elle ne pourra plus se cacher, Lynn fait alors son « coming out » et annonce qu’elle est née petit garçon. Elle devient alors un modèle pour la cause des transgenres.

Faudra-t-il attendre encore 52 ans en Suisse pour que les entreprises cessent d’avoir peur ?

IBM a licencié Lynn Conway en 1968 lorsqu’elle a annoncé qu’elle voulait faire sa transition « par crainte de ternir son image » comme l’a expliqué Diane Gherson lors de son allocution. Image que la société essaie aujourd’hui de redorer.

En 2020 encore, en Suisse, de nombreuses femmes trans* perdent leur emploi sans explications, par claire discrimination en raison de leur transidentité. Le taux de chômage de la population trans* est 6 fois supérieur à celui du reste de la population. Et près de 25% des entreprises déclarent ouvertement qu’à compétences égales, elles n’engageraient pas une personne trans* [1].

Il est temps d’agir pour que ces personnes n’aient pas 52 ans à attendre avant d’être considérées à leur juste valeur au plan professionnel. La même valeur que celle d’avant leur transition qui leur a valu d’être embauchées et employées pour leurs qualités durant de nombreuses années.

[1] TGNS : Projet Trans-Fair

Débat

Faut-il un débat public sur l’inscription du genre[1] à l’état civil ?

Le 6 octobre 2020, Stéphane Mitchell, scénariste de la série à succès de la RTS « Quartier des banques », publiait dans les colonnes du journal Le Temps une opinion intitulée « Modification de l’indication du sexe facilité à l’état civil: il faut un débat public ».

Ce texte, outre qu’il démontre une grande ignorance de son autrice sur les questions trans*, pose la question importante de savoir s’il faut débattre publiquement des droits d’une minorité de personnes à être correctement traitées par la société.

La nécessité d’un débat public serait liée au fait que l’inscription du genre à l’état civil toucherait « des sujets aussi sensibles la médicalisation d’enfants en développement, les droits des filles et des femmes dans une société qui reste inégalitaire, ainsi que la définition légale du sexe (qui, selon le projet de loi helvétique, ne serait plus défini par le sexe biologique, mais par une « “conviction intime” ».

Médicalisation d’enfants en développement

Il est important de rappeler quelques faits.

Premièrement, dans l’ordre juridique actuel, un mineur peut changer de genre à l’état civil sans le consentement parental. Le critère de décision étant celui de la capacité de discernement. Le Tribunal fédéral l’a reconnue dès l’âge de 12 ans pour un changement de nom par exemple. Il en va de même pour le choix des soins médicaux proposés par les médecins.

Deuxièmement, un changement de genre à l’état civil n’implique plus obligatoirement de traitements médicaux lourds et irréversibles de type hormonothérapies et chirurgies de réassignation.

Il ne faut donc pas imaginer que des adolescents demandant à l’état de reconnaître leur changement de genre auraient obligatoirement à passer par de multiples traitements médicaux pas forcément appropriés à leur âge. Ainsi, les chirurgies de réassignation ne peuvent pas être réalisées trop tôt en raison de la croissance corporelle encore à venir.

Mais, bien plus important, il faut considérer ce que signifie pour une personne trans*, jeune ou moins jeune, se ressentir en inadéquation avec son genre assigné à la naissance sur l’unique base de la présence, ou pas, d’un pénis.

Pour les jeunes, de cette inadéquation va découler une souffrance conduisant souvent aux échecs scolaires, à de grandes difficultés à, voire parfois à l’incapacité de, communiquer correctement avec ses pairs, au repli sur soi et trop souvent au suicide[2].

Lutter contre ces symptômes implique seulement de discuter avec des médecins – pédopsychiatres ou pas – correctement formés aux dernières connaissances de la médecine de l’adolescent, et notamment aux questions liées à l’identité de genre. De tel·les médecins sont malheureusement beaucoup trop rares en Suisse.

Après, si nécessaire, en accord avec le/la médecin, des bloqueurs hormonaux peuvent être prescrits, déjà aujourd’hui indépendamment de l’accord parental. Mais comme toujours, l’appui d’un milieu familial bienveillant et soutenant est un avantage certain pour aider le/la jeune à traverser une période difficile. Et effectivement, un pourcentage significatif de ces jeunes finit par rester dans le genre conforme au sexe assigné à leur naissance. Mais au moins leur souffrance a-t-elle été entendue et traitée !

La question des effets à long terme de la prise de bloqueurs pendant une certaine période, notamment sur la fertilité des jeunes, ne semble pas encore faire consensus. Ce qui fait consensus par contre, c’est qu’un·e jeune qui s’est suicidé·e n’a plus de perspective à long terme.

Droits des filles et des femmes dans une société qui reste inégalitaire

La préoccupation de Mme Mitchell dans ce domaine est l’abus de droit. Essentiellement l’abus d’hommes se déclarant femmes pour bénéficier de la protection accordée à ces dernières.

Cela démontre à quel point Mme Mitchell ignore tout de la transidentité d’une part, et de la procédure proposée de l’autre.

La transidentité est une souffrance profonde et durable due à la nécessité de délivrer des prestations conformes au genre assigné à la naissance qui ne correspond pas à la personne que l’on ressent être intimement. Ce rôle qu’une personne trans* doit tenir contre son gré, parfois pendant des années, n’est pas imposé par la biologie, mais par la société.

Imaginer qu’un homme puisse se déclarer femme dans l’unique but de bénéficier des protections accordées à ces dernières ne tient pas compte de cette souffrance ni de la réalité.

Les femmes trans* sont très nombreuses à témoigner que leur transition leur a fait perdre de la crédibilité, des privilèges, voire leur travail, pour la seule raison de leur changement de genre. En fait, elles rejoignent la situation de femmes cisgenres dans notre société patriarcale.

À contrario, les hommes trans* relèvent l’inverse. Le cas le plus célèbre étant celui du Prof. Ben A. Barres de l’Université de Stanford soulignant qu’il n’aurait pas fait la même carrière scientifique s’il était resté Barbara.

Alors croire qu’un homme pourrait renoncer à sa masculinité dans l’unique but de gagner un an d’AVS, pour l’instant tout au moins, ou éviter la conscription obligatoire, démontre une profonde ignorance des raisons de la transition.

Faut-il donc un large débat public autour de la question du genre ?

En Suisse, le peuple peut décider de tout, de son avenir énergétique à l’achat d’avions de combat en passant par le congé parental. Alors pourquoi ne pas débattre sur la question du genre ?

Même si la transidentité est sans doute en forte augmentation actuellement, notamment parce qu’on en parle enfin, elle concerne et concernera toujours une infime partie de la population (1-2%), une minorité fortement discriminée n’aspirant pas à autre chose que d’avoir les mêmes droits et devoirs que tout un chacun. Cette reconnaissance ne limiterait en rien la liberté des autres, elle ne ferait que grandir la société dans son ensemble.

Faut-il un débat public pour cela ? Pourquoi pas, mais il devrait alors être tenu par des personnes qui savent de quoi elles parlent, être basé sur des faits et pas sur des émotions personnelles, et en gardant toujours en mémoire que faire une transition n’est jamais un choix, seulement une nécessité de survie.

[1] Nous parlons ici de genre, et non de sexe même si ce dernier terme est utilisé dans le code civil, et dans la loi discutée actuellement aux chambres. En effet, ce qui définit une personne dans la société est bien davantage lié à son expression de genre, à la perception que la société a de cette personne (attribution de genre) et aux rôles que la société en attend (rôles de genre) plutôt qu’à son sexe biologique.

[2] Le taux de suicide est jusqu’à dix fois supérieur chez les jeunes trans* à celui des jeunes cisgenres.
(Source : Stop Suicide 2017, www.stopsuicide.ch)

Coups de gueule

Il y a fort longtemps, dans ma vie d’avant, alors que j’écrivais les discours d’un conseiller d’État genevois pour la banque qu’il présidait, ce dernier me dit en lisant mon texte : « M. Bertholet, si vous voulez dire qu’il pleut, dites : il pleut ».

Aujourd’hui, je veux dire qu’il pleut encore beaucoup trop sur la vie des personnes transgenres en Suisse, même si les médias en parlent, mais de manière politiquement correcte trop souvent.

Une situation médicale inacceptable

La médecine suisse coûte cher, très cher. Mais, à chaque augmentation de primes, les mondes politique et médical nous expliquent que nous avons une des meilleures médecines du monde. Et que cela a un prix.

En ce qui concerne la prise en charge des personnes trans*, cette affirmation relève de la plaisanterie pure.

En tant que présidente d’une association défendant les personnes trans*, mon propos n’est pas de prendre position en faveur de tel·le ou tel·le médecin, de tel ou tel hôpital, de tel ou tel canton ou encore de tel ou tel pays.

Mon propos est seulement de dire qu’il n’est plus possible que, dans un système qui coûte si cher, nous soyons pris·es en charge par des médecins ne devant répondre à aucune exigence de formation, que soit en médecine de premier recours ou dans les spécialités qui nous concernent (endocrinologie, urologie, gynécologie, chirurgie, psychiatrie…).

Et qu’il n’est plus possible non plus que les moyens adéquats ne soient pas concentrés afin de faire en sorte que le bricolage épisodique laisse la place à des prises en charge par des personnels formés, spécialisés et focalisés sur les multiples facettes de la transidentité. Berne, Zürich, Lausanne ou Genève seront toujours moins loin que Toronto, New-York ou Bangkok pour un·e résidant·e suisse.

Le désastre de la chirurgie de réassignation en Suisse

Alors que pour opérer une appendicite ou pratiquer une chirurgie de la main, un·e chirurgien·ne doit satisfaire à des exigences spécifiques de la FMH, tant sur les plans théorique que pratique, il n’existe aucune contrainte de formation si la même personne veut pratiquer des vaginoplasties (construction d’un néo-vagin chez une femme trans*) ou des phalloplasties (construction d’un néo-pénis chez un homme trans*).

La conséquence en est que les chirurgiens – il n’y a pas de femmes dans ce domaine dans les trois hôpitaux universitaires qui laissent ces pratiques se faire – qui font ces opérations en Suisse ont appris, ou apprennent, sur le tas. Étant donné que le tas, c’est nous, personnes transgenres. Et ils se passent leurs connaissances si piètrement acquises de « père en fils spirituel » essayant de conserver leurs petits monopoles locaux.

Je citerais comme exemple le fait que la vaginoplastie avec utilisation du colon a été pratiquée au CHUV en deux étapes – donc deux narcoses à six mois d’intervalle – par un chirurgien spécialiste de la main jusqu’à la fin du mois d’octobre 2015. La première opération consistait à l’ablation du pénis et la construction d’un petit néo-vagin avec la peau disponible. La seconde, six mois plus tard, visait à prélever le bout du colon servant à donner de la profondeur au vagin et à le raccorder au petit néo-vagin créé précédemment. Tout cela fait par un spécialiste FMH en chirurgie de la main.

Pourtant depuis des années ces opérations étaient réalisées en une seule fois dans les centres de compétences transgenres à l’étranger. Le chirurgien plasticien spécialisé et le chirurgien de l’intestin, pour le prélèvement du colon par laparoscopie, travaillant alors de concert afin de garantir les meilleurs résultats à moindres coûts.

Au passage, je relève qu’une telle opération peut se faire simultanément à une augmentation mammaire et à une chirurgie de féminisation faciale, par trois équipes différentes travaillant ensemble, dans certains instituts thaïlandais ou canadiens notamment. C’est totalement impossible en Helvétie.

Le 9 décembre 2015, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud rendit un verdict en faveur d’une assurée demandant le remboursement de sa chirurgie de réassignation réalisée au Preecha Institute de Bangkok. L’argument principal de la requérante se basait sur le fait que les chirurgies faites en Suisse n’offraient pas de garanties suffisantes en matière de résultats et de maîtrise des risques. Ses affirmations étaient soutenues par un rapport du Prof. Stan Monstrey, alors responsable du centre de médecine transgenre de l’hôpital universitaire de Gand, en Belgique, et ancien président de la WPATH[1].

Ce rapport ne juge pas les chirurgiens helvétiques, mais pose des exigences minimales pour qu’un·e praticien·ne puisse assumer la responsabilité d’une réassignation. Actuellement, les chirurgiens suisses ne satisfont à aucune de ces exigences, que ce soit en matière de formation postgrade, de publications, de nombres d’opération réalisées annuellement, pour autant qu’ils veuillent bien donner leurs chiffres, ou encore de formation continue.

Des conséquences dramatiques

Premièrement, de nombreuses personnes trans* sont mal opérées dans les hôpitaux universitaires suisses s’occupant de réassignation, et doivent subir plusieurs opérations pour essayer de corriger les mauvais résultats des premières chirurgies. Ainsi cet homme trans* ayant subi 22 (vingt-deux!) opérations à Bâle, ou cette femme hésitant en 2019 à passer pour la 6e fois sur la table d’opération à Lausanne parce qu’incapable, à à peine plus de trente ans, d’avoir le moindre rapport sexuel en raison de l’étroitesse de son néo-vagin. Les associations peuvent toutes citer des dizaines de cas de cet acabit, survenus à Bâle, à Zürich ou à Lausanne, seuls hôpitaux pratiquant les chirurgies de réassignation primaire[2].

Cela engendre des souffrances physiques et psychiques très lourdes et des absences professionnelles pouvant conduire à la perte de l’emploi. Et bien évidemment, cela a un coût direct substantiel assumé par les cantons en grande partie (60%) et par les caisses maladie (40%). Sans parler du coût social pris en charge par la collectivité dans son ensemble.

Je relèverais que les mammectomies (ablations des seins) pour les hommes trans* et les augmentations mammaires pour les femmes trans* ne sont guère mieux maîtrisées, en Suisse romande tout au moins. Les premières laissent des cicatrices effrayantes, quand elles ne sont pas pratiquées en deux, voire plusieurs fois ; les secondes ignorent tout des techniques modernes et se contentent d’implanter des prothèses rondes en dessus du muscle alors qu’il existe des façons de faire donnant de nettement meilleurs résultats pour peu que le chirurgien soit formé aux besoins particuliers des trans*. Et ce n’est pas plus cher.

L’ignorance crasse de la médecine de premier recours

Vu l’absence généralisée de formation déjà mentionnée, la situation n’est pas meilleure dans la médecine de premier recours. La cystite ne se traite pas de la même manière chez une femme cis que chez une femme trans*, parce que cette dernière a encore sa prostate et que les risques sont donc différents. Il en découle un traitement par antibiotique qui peut grandement varier. Aucun médecin n’en est conscient !

Les problèmes urinaires, souvent fréquents chez les trans*, ne peuvent pas être pris en charge par un·e urologue, en raison de leur méconnaissance de ce qu’est un néo-pénis ou un néo-vagin et de leur construction.

Il n’existe à ma connaissance qu’un seul gynécologue en Suisse capable de suivre une femme trans*. Il est à Zoug et ne prend plus de nouvelles patientes depuis des années.

Je pourrais continuer à l’envi les exemples de situations inacceptables en matière de soins pour les personnes trans*, avant, pendant et après leur transition. Mais je veux relever un scandale qui va bientôt se produire en Suisse romande.

L’affront fait aux trans* par Vaud et Genève

Après des années de discussion, l’OMS a revu la classification de la dysphorie de genre[3]. Dans la 11eversion de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11), la dysphorie est classée dans une nouvelle catégorie intitulée « conditions liées à la santé sexuelle ». C’est un pas important pour les personnes transgenres qui luttent depuis 1990 pour sortir leur souffrance de la classification stigmatisante de « maladie mentale » telle que le stipule encore la CIM-10 ou le DSM-V[4]. L’OFSP travaille actuellement à l’introduction de la CIM-11 dans le système médical suisse.

Cette avancée correspond aux vœux exprimés par les personnes trans* de sortir du giron de la psychiatrie pour être traitées comme toute personne souffrant d’une pathologie qui nécessite souvent des soins, que ce soit des prises d’hormones, des chirurgies et parfois également un soutien psychologique. En effet, de nombreuses études montrent que la source principale des souffrances des personnes trans* est issue du jugement des autres, de la stigmatisation de la famille, des amis, des collègues. Et je me permettrais d’ajouter aussi de la violence du corps médical à notre égard quand ce dernier se drape dans ses ignorances et dans sa toute-puissance.

Las, le CHUV et les HUG, sur le point de signer une convention visant à formaliser la prise en charge des personnes trans*, vont nommer un psychiatre à sa tête. Ce dernier, pas connu pour sa formation spécifique ni ses publications sur le thème de la dysphorie, aura la responsabilité, entre autres, de coordonner et de développer les soins aux personnes trans* dans les deux hôpitaux universitaires.

Cette nomination, et les développements qui suivront, va à l’encontre de l’évolution préconisée par la WPATH et l’OMS. Elle s’est faite sans aucune consultation des associations défendant les intérêts des personnes trans*.

Les principales concernées une fois encore ignorées

Une fois encore, au lieu de chercher les compétences pointues qu’exige un tel poste, compétences qui ne peuvent avoir été acquises que dans des pays ayant développé depuis longtemps une médecine universitaire multidisciplinaire autour de la transidentité, les décideurs politiques vont favoriser le médecin local ayant appris sur le tas.

Dans ce cas, comme dans celui de la procédure soi-disant facilitée de changement de genre[5], les besoins réels des personnes concernées ont été ignorés. Elles n’ont pas été consultées, donc pas écoutées et encore moins entendues.

Ces approches clivantes et stigmatisantes ne sont pas dignes d’un pays qui se déclare tolérant et inclusif.

Voir également : https://www.heidi.news/sante/pourquoi-les-personnes-trans-peinent-a-se-faire-soigner-correctement

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[1] WPATH : La World Professional Association for Transgender Health, est l’organisation mondiale qui regroupe les professionnels prenant en charge la dysphorie de genre. Elle émet notamment des standards de soins reconnus par les praticien·nes du monde entier. Le professeur Stan Monstrey en a été le président de 2005 à 2007.

[2] L’USZ (hôpital universitaire de Zürich) ne pratique pas la phalloplastie, estimant que les techniques actuelles ne sont pas encore assez bien maîtrisées et débouchent trop souvent sur des problèmes graves.

[3] La dysphorie de genre est le terme médical attribué à la transidentité, soit à l’inadéquation entre le sexe attribué à la naissance et le genre profondément ressenti par la personne concernée.

[4] Le DSM-V est le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié par l’American Psychiatric Association. C’est la “bible” des psychiatres en Suisse.

[5] Pour plus d’information sur la façon dont les trans* risquent bien de se faire avoir par le parlement, voir l’article paru dans le journal Le Temps du 11 juin 2020 sous le titre « Facilitation du changement de sexe : «Ce projet pourrait vraiment ne pas être une avancée »

Diversité & Inclusion dans le monde d’après

La pandémie ne restera pas sans effets durables sur nos économies. La question abordée ici est de savoir quels seront ses effets sur les politiques de diversité et d’inclusion dans les entreprises, et en particulier de montrer que ces dernières auraient tout intérêt à « booster » ces politiques plutôt qu’à les mettre au placard. Par entreprise, il faut comprendre organisation du secteur privé ou du secteur public, quelle que soit la forme juridique.

La diversité représente la variété de personnes, d’idées et de cultures qui sont présentent dans une entreprise. Certaines caractéristiques de la diversité sont apparentes, comme l’ethnie, le genre ou l’âge alors que d’autres sont invisibles, telles la religion, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, par exemple.

De l’égalité à l’inclusion

L’inclusion est la capacité d’une organisation à créer un environnement de travail dans lequel les collaboratrices et collaborateurs, indépendamment du niveau hiérarchique ou du rôle tenu, se sentent respecté·es, valorisé·es individuellement, et en lien les un·es avec les autres sans préjugé. Cela implique que chacun·e peut être authentique en étant respecté·e et respectueux·se. L’inclusion fait tomber les barrières et favorise grandement la collaboration entre les personnes. Elle n’a pas seulement lieu d’être en interne, mais elle englobe toutes les parties prenantes avec lesquelles l’entreprise interagit (clients, fournisseurs, état, actionnaires…).

Avant la pandémie, les entreprises qui abordaient cette thématique le faisaient essentiellement par catégories, et parfois par labélisation. Ainsi, la diversité concernait principalement l’égalité des genres, et plus particulièrement l’égalité salariale, voire l’égalité ethnique. La recherche de l’obtention d’un label, soit global, mais ayant une composante « D&I », soit spécifique à un groupe identifié de la diversité et de l’inclusion, notamment le genre, le handicap, l’ethnie ou encore l’orientation sexuelle était souvent le complément visant à démontrer que l’organisation était bonne élève.

Ces approches comportent deux risques principaux. Le premier est de rester des vœux pieux transposés dans des directives et instructions internes que peu de gens connaissent et encore moins appliquent. Le second est d’avoir un joli logo pour sa communication et son image, mais sans effet réel sur les relations avec les parties prenantes.

La crise que nous vivons encore, même si elle est en net recul pour l’instant, présente comme toute crise des risques et des opportunités (c’est ce que signifie approximativement 危机 en chinois).

Les dangers sont d’essayer de vite revenir à la situation d’avant, celle qu’on connaissait bien puisque « On a toujours fait comme ça » et d’ainsi utiliser les importantes ressources mises à disposition par les états et les banques centrales pour retrouver une situation non durable et particulièrement créatrice d’exclusion.

La chaîne de valeurs doit être revue pour intégrer les coûts externes, notamment ceux engendrés par les discriminations et l’exclusion

Les chances sont au contraire de tirer les leçons de ce qui vient de se passer, non seulement pour revoir sa chaîne logistique, mais également pour commencer à intégrer les coûts externes dans sa chaîne de valeurs, à savoir les coûts qui sont supportés collectivement, ou en tout cas pas par ceux qui les génèrent. Les entreprises pourront ainsi prendre de meilleures décisions, non seulement en termes économiques, mais également en termes de durabilité et de justice.

La situation actuelle démontre que d’importants changements culturels pourraient avoir lieu dans les entreprises au profit de toutes et tous, et donc également du leur. Le télétravail est l’exemple le plus évident, pour autant qu’il soit encadré par un management par objectifs et le respect de la vie privée.

En fait, il est très probable que les entreprises les plus performantes dans le monde d’après seront celles qui auront repensé leur modèle d’affaire dans son intégralité pour le rendre plus agile, plus créatif et moins risqué.

En ce qui concerne la diversité et l’inclusion, il faut saisir l’opportunité qui se présente pour passer à une vraie culture d’entreprise inclusive. Cela commence par comprendre que l’inclusion fait totalement partie de la diversité, qu’elle en est l’essence même.

Les organisations qui pensent que la diversité et l’inclusion sont un luxe qu’elles ne pourront plus se payer seront celles qui auront le plus de difficulté à innover, à se remettre en question et à accéder aux meilleurs talents pour leur avenir.

Par exemple, le télétravail, par la flexibilité qu’il apporte par rapport au 9h00-17h00, peut être bénéfique aux travailleuses·eurs tout comme aux entreprises. Mais il ne faut pas qu’il soit implanté sans tenir compte des particularités individuelles, en particulier de celles des plus faibles, notamment des personnes visées par une politique de diversité et d’inclusion.

Il existe une abondante littérature sur les avantages que tirent les entreprises de la diversité et de l’inclusion. Mais si ces avantages sont sans doute perfectibles, notamment parce que trop souvent basés sur de vieilles méthodes de mise en place qui ne sont pas optimales en termes d’effets voulus (voir entre autres Diversity Matters, Delivering through Diversity et Diversity wins-How inclusion matters de McKinsey&Company).

Comment saisir au mieux l’opportunité qui se présente aujourd’hui en termes de diversité et d’inclusion ? En développant une culture d’entreprise favorisant l’inclusion de la diversité à tous les niveaux, en commençant par le haut. Parce que c’est de la tête que vient l’exemple.

C’est de la tête de l’entreprise que doit venir l’exemple

Exemple typique d’un conseil d’administration ou d’une direction, à une femme près parfois…

Or la tête dans les entreprises, constituée très majoritairement d’hommes blancs cisgenres et hétérosexuels, se sait bien faite et bien pleine. Donc, pourquoi évoluerait-elle ?

Parce que si la tête est bien pleine, elle l’est également de toute une série de biais inconscients qui l’amènent à favoriser systématiquement ceux qui lui ressemblent au détriment de la diversité et de l’inclusion.

Créer une culture inclusive commence donc par rendre conscient le top management – conseil d’administration et direction exécutive dans une société anonyme – de ses principaux biais inconscients.

Ce n’est évidemment qu’une première étape. Il faut ensuite continuer la sensibilisation de tous les décideurs, et décideuses quand il y en a, à tous les échelons, pour qu’ils/elles comprennent que leurs décisions sont biaisées sans qu’ils/elles ne le veuillent. Ainsi ils/elles seront conscient·es de la nécessité du changement voulu par la tête.

En parallèle, il faut redéfinir les principaux processus RH et les conditions de travail (recrutement, nominations, poste de travail…) et le cadre réglementaire interne qui va avec. Pour optimiser les chances de succès, l’utilisation de techniques comme le Design thinking et le Change management est nécessaire. Sinon, l’organisation continuera à dupliquer le modèle existant, mais en en ayant conscience cette fois.

La Covid-19 a fait – et continue à faire – d’importants dégâts parmi les plus faibles et les plus vulnérables. En faisant évoluer leurs valeurs et leur culture, les entreprises ont l’opportunité de faire quelque chose de juste qui, de plus, améliorera leurs marges et leur valeur actionnariale à moyen et long terme.

17 mai : une journée de plus en plus importante pour les personnes transgenres

Chaque année, le 17 mai est la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie.

Le 17 mai 1990, l’OMS a décidé de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale. Dès 2005, ce jour a été célébré en tant que journée contre l’homophobie. Ce n’est qu’en 2009 que la transphobie – soit l’hostilité sous toutes ses formes envers les personnes transgenres – a été ajoutée aux célébrations du 17 mai.

On peut se demander s’il est légitime d’encore célébrer une telle journée en Suisse en 2020, nous qui avons tendance à croire que notre pays et sa démocratie sont des modèles en termes de liberté et de droit de l’homme, ou plutôt de droits humains comme il siérait de dire.

Je me focaliserai sur la situation des personnes transgenres aujourd’hui dans notre coin de « paradis ».

Chez nous la transidentité, sous son appellation médicale de dysphorie de genre, est encore considérée comme une maladie mentale même si l’OMS l’a classifiée ce printemps dans une nouvelle catégorie intitulée « conditions liées à la santé sexuelle ». Cela prendra encore plusieurs années avant que les personnes trans* ne soient plus obligées de consulter un psychiatre, ce que beaucoup d’entre nous considèrent comme une violence à leur égard.

L’injustice crasse faite par le Conseil fédéral, puis le parlement aux trans*

Le 9 février le peuple adoptait, par 63% de oui, la pénalisation des actes et propos homophobes. J’aimerais souligner l’injustice crasse faite par le Conseil fédéral, puis le parlement en plénière, qui retirèrent du projet de modification du Code pénal, les actes et propos transphobes, et ce au prétexte que la transidentité ne serait pas un concept clair. Cet abandon, vécu par les personnes transgenres comme une insulte à leur différence, prendra sans doute des décennies à être corrigé.

Le même Conseil fédéral qui par ailleurs propose une procédure « facilitée » de changement de genre qui contraindra la requérante/le requérant à se présenter devant un officier d’État civil qui aura la possibilité de demander des rapports complémentaires, voire de refuser la requête, en cas de doute, doute nulle part défini et précisé !

Ce peu de considération pourrait passer pour une peccadille, si cela n’avait pas des conséquences concrètes et quotidiennes.

ÉPICÈNE, l’association que je préside réalise actuellement un livre de 50 portraits de personnes trans* de toute la Suisse (20 en Romandie, 20 en Suisse alémanique et 10 au Tessin). Nous constatons qu’en Suisse italienne, les personnes contactées refusent presque toutes de témoigner de leur parcours par peur. Peur de perdre leur emploi, peur de se rendre dans un lieu public en tant que trans*, peur de leur voisinage.

Taux de chômage 6 fois supérieur chez les trans*

Il est vrai que le taux de chômage est six fois supérieur chez les trans* que dans le reste de la population !

Rien que dans la semaine qui s’achève, j’ai eu trois rendez-vous, et un appel, avec des personnes trans* non membres de l’association dont la préoccupation principale relevait de questions d’acceptation, notamment au plan professionnel. Je trouve dramatique qu’être soi-même vous amène à risquer de perdre votre emploi, alors que vous serez au contraire plus performant·e en étant libéré de toutes les tensions qui empoisonnent votre vie.

Le peu de considération portée aux personnes transgenres se retrouve encore hélas parfois dans nos médias, écrits, radiophoniques ou télévisuels. Le mot transsexuel·le est encore régulièrement utilisé au lieu de transgenre, les personnes sont « outées » sans que cela n’apporte rien à la qualité de l’information, et Le Temps de cette semaine parlait encore de personnes transgenres n’ayant pas réalisé leur transformation. Comme si la transidentité consistait à se transformer.

L’utilisation inappropriée du vocabulaire par les médias est ravageuse pour deux raisons. Premièrement, elle perpétue dans le public une image négative de personnes qui sont en fait ordinaires et banales, pour peu qu’on les laisse vivre leur vie. Et deuxièmement, elle est perçue comme très violente par celles et ceux qui font ce voyage indispensable vers eux-mêmes.

Cette précarisation a encore beaucoup d’autres effets dans les milieux médicaux, scolaires, universitaires et autres. J’aurais l’occasion d’y revenir prochainement, tout comme sur le pauvre classement de la Suisse en comparaison internationale en termes de protection des personnes trans*.

Aujourd’hui, je pourrais également citer des cas, en Europe, qui pourraient paraître plus graves ou plus importants, comme la Hongrie qui a supprimé le droit de changer de genre à l’État civil, ou la France qui, tout en adoptant une loi émancipatrice sur la procréation médicalement assistée (PMA), en refuse l’accès aux couples trans* dont l’ovule et le sperme viendraient pourtant des deux conjoints officiellement mariés !

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