Genève – Les droits des patients trans* bafoués

Les journaux du groupe Tamédia[i] se sont fait l’écho de la mise sous enquête ce printemps de deux médecins genevois ayant pris en charge deux jeunes trans* mineurs, âgés aujourd’hui de 17 et 18 ans.

La « cellule enquête » de Tamédia veut faire croire à une approche sérieuse et professionnelle de son sujet, alors que la lecture de son article révèle tout l’inverse.

Méconnaissance du sujet de base

Le sujet de base est la « dysphorie de genre » (ou « incongruence de genre » selon la CIM-11), qu’elle existe chez un·e mineur·e ou un·e adulte.

L’incongruence de genre est une souffrance profonde et durable qui engendre de grandes difficultés pour la personne qui la vit. Cette souffrance vient principalement de la peur du regard des autres, notamment des proches, et de la crainte d’être jugé·e, voire rejeté·e, par la société parce que la personne ne se sent pas en adéquation avec son sexe assigné à la naissance.

La prise en charge de ces douleurs passe souvent par le corps médical. Modification de l’expression de genre, soutien psychologique, parfois prise d’hormones, ou même chirurgies, sont les traitements les plus appropriés selon les recherches faites ces quarante dernières années en médecine.

Cette prise en charge respecte donc des standards et des protocoles de soins similaires à ceux qui existent dans tous les domaines de la médecine moderne. Tous ces standards placent le patient et son autodétermination au centre de l’approche thérapeutique.

Le journaliste ignore de manière crasse ce principe de base en plaçant au centre uniquement les parents de jeunes ayant leur pleine et entière capacité de discernement, alors que le contraire aurait dû être fait en leur donnant la parole en premier.

Si elle avait eu la moindre idée du sujet, la « cellule enquête » de Tamédia aurait également compris que la transidentité n’est pas un choix et que son traitement médiatique implique le respect des personnes concernées, par exemple en utilisant un vocabulaire approprié et non dégradant. Cela n’a pas été le cas.

Méconnaissance des faits

L’article indique que les jeunes concernés se seraient vu prescrire des hormonothérapies, voire des chirurgies. Cela est faux. Il n’y a eu aucune émission d’ordonnance pour des hormones masculinisantes pour aucun des deux jeunes concernés, encore moins pour des chirurgies.

Les médecins ont seulement indiqué qu’ils estimaient que leurs patients, qui en avaient clairement exprimé le désir, étaient prêts à recevoir de la testostérone et en ont fait la proposition pour une décision partagée, y compris avec les parents. Leur proposition s’est arrêtée là devant les menaces des parents et dénonciations tous azimuts par avocats interposés.

En laissant supposer que la prescription de testostérone à un jeune homme trans* était, ou pourrait être, illégale, la « cellule enquête » montre son incompréhension totale des prescriptions « Off label » qui existent et se pratiquent également dans de nombreux autres domaines de la médecine.

Biais systématiques des données

La « cellule enquête » laisse croire que l’association à laquelle elle donne la parole serait représentative d’une proportion importante de parents opposés à la transition de leur enfant. Mais elle ne donne pas de chiffres.

À ma connaissance, ce sont toujours les mêmes trois personnes qui mettent en avant leur cas. À l’inverse, les associations prenant en charge des jeunes trans* peuvent facilement citer plusieurs dizaines, voire centaines, de famille ayant traversé ensemble cette épreuve difficile.

Conclusion

L’ignorance est parfaitement excusable. Elle se corrige par l’ouverture d’esprit, l’écoute et l’apprentissage.

L’ignorance conjuguée au pouvoir – la presse ne revendique-t-elle pas d’être le 4e pouvoir – est hautement toxique. Surtout quand elle donne à quelques individus la possibilité d’atteindre à la santé de centaines d’autres sur la seule base de leurs préjugés surannés.

L’ouverture d’une enquête en mars 2021, enquête pas encore diligentée à ma connaissance, par la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du canton de Genève est lamentable en soi.

Premièrement parce qu’elle démontre la profonde ignorance du sujet par les membres de ladite commission, deuxièmement et surtout, parce qu’elle se moque du  droit des patients, ces derniers attendant leur traitement depuis six mois maintenant. Qu’en serait-il si on parlait de chimiothérapie ?

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[i] Site web de la Tribune de Genève, samedi 31 juillet 22h19. Le Matin Dimanche du 1er août, p. 6., Site web du 20 Minutes, lundi 2 août.

[ii] Classification Internationale des Maladies, 11e version, approuvée par l’OMS en mai 2019.

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Lynn Bertholet

Banquière, activiste pour la Diversité et l’Inclusion, fondatrice et présidente d’ÉPICÈNE, association d’utilité publique en faveur des personnes transgenres, Lynn Bertholet a étudié à HEC Lausanne, à l’IMD et à la Graduate Business School de Stanford. En 2015, elle a été la première femme transgenre à Genève à obtenir de nouveaux papiers d’identité avant même d’avoir subi une opération chirurgicale.

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