Débat

Faut-il un débat public sur l’inscription du genre[1] à l’état civil ?

Le 6 octobre 2020, Stéphane Mitchell, scénariste de la série à succès de la RTS « Quartier des banques », publiait dans les colonnes du journal Le Temps une opinion intitulée « Modification de l’indication du sexe facilité à l’état civil: il faut un débat public ».

Ce texte, outre qu’il démontre une grande ignorance de son autrice sur les questions trans*, pose la question importante de savoir s’il faut débattre publiquement des droits d’une minorité de personnes à être correctement traitées par la société.

La nécessité d’un débat public serait liée au fait que l’inscription du genre à l’état civil toucherait « des sujets aussi sensibles la médicalisation d’enfants en développement, les droits des filles et des femmes dans une société qui reste inégalitaire, ainsi que la définition légale du sexe (qui, selon le projet de loi helvétique, ne serait plus défini par le sexe biologique, mais par une « “conviction intime” ».

Médicalisation d’enfants en développement

Il est important de rappeler quelques faits.

Premièrement, dans l’ordre juridique actuel, un mineur peut changer de genre à l’état civil sans le consentement parental. Le critère de décision étant celui de la capacité de discernement. Le Tribunal fédéral l’a reconnue dès l’âge de 12 ans pour un changement de nom par exemple. Il en va de même pour le choix des soins médicaux proposés par les médecins.

Deuxièmement, un changement de genre à l’état civil n’implique plus obligatoirement de traitements médicaux lourds et irréversibles de type hormonothérapies et chirurgies de réassignation.

Il ne faut donc pas imaginer que des adolescents demandant à l’état de reconnaître leur changement de genre auraient obligatoirement à passer par de multiples traitements médicaux pas forcément appropriés à leur âge. Ainsi, les chirurgies de réassignation ne peuvent pas être réalisées trop tôt en raison de la croissance corporelle encore à venir.

Mais, bien plus important, il faut considérer ce que signifie pour une personne trans*, jeune ou moins jeune, se ressentir en inadéquation avec son genre assigné à la naissance sur l’unique base de la présence, ou pas, d’un pénis.

Pour les jeunes, de cette inadéquation va découler une souffrance conduisant souvent aux échecs scolaires, à de grandes difficultés à, voire parfois à l’incapacité de, communiquer correctement avec ses pairs, au repli sur soi et trop souvent au suicide[2].

Lutter contre ces symptômes implique seulement de discuter avec des médecins – pédopsychiatres ou pas – correctement formés aux dernières connaissances de la médecine de l’adolescent, et notamment aux questions liées à l’identité de genre. De tel·les médecins sont malheureusement beaucoup trop rares en Suisse.

Après, si nécessaire, en accord avec le/la médecin, des bloqueurs hormonaux peuvent être prescrits, déjà aujourd’hui indépendamment de l’accord parental. Mais comme toujours, l’appui d’un milieu familial bienveillant et soutenant est un avantage certain pour aider le/la jeune à traverser une période difficile. Et effectivement, un pourcentage significatif de ces jeunes finit par rester dans le genre conforme au sexe assigné à leur naissance. Mais au moins leur souffrance a-t-elle été entendue et traitée !

La question des effets à long terme de la prise de bloqueurs pendant une certaine période, notamment sur la fertilité des jeunes, ne semble pas encore faire consensus. Ce qui fait consensus par contre, c’est qu’un·e jeune qui s’est suicidé·e n’a plus de perspective à long terme.

Droits des filles et des femmes dans une société qui reste inégalitaire

La préoccupation de Mme Mitchell dans ce domaine est l’abus de droit. Essentiellement l’abus d’hommes se déclarant femmes pour bénéficier de la protection accordée à ces dernières.

Cela démontre à quel point Mme Mitchell ignore tout de la transidentité d’une part, et de la procédure proposée de l’autre.

La transidentité est une souffrance profonde et durable due à la nécessité de délivrer des prestations conformes au genre assigné à la naissance qui ne correspond pas à la personne que l’on ressent être intimement. Ce rôle qu’une personne trans* doit tenir contre son gré, parfois pendant des années, n’est pas imposé par la biologie, mais par la société.

Imaginer qu’un homme puisse se déclarer femme dans l’unique but de bénéficier des protections accordées à ces dernières ne tient pas compte de cette souffrance ni de la réalité.

Les femmes trans* sont très nombreuses à témoigner que leur transition leur a fait perdre de la crédibilité, des privilèges, voire leur travail, pour la seule raison de leur changement de genre. En fait, elles rejoignent la situation de femmes cisgenres dans notre société patriarcale.

À contrario, les hommes trans* relèvent l’inverse. Le cas le plus célèbre étant celui du Prof. Ben A. Barres de l’Université de Stanford soulignant qu’il n’aurait pas fait la même carrière scientifique s’il était resté Barbara.

Alors croire qu’un homme pourrait renoncer à sa masculinité dans l’unique but de gagner un an d’AVS, pour l’instant tout au moins, ou éviter la conscription obligatoire, démontre une profonde ignorance des raisons de la transition.

Faut-il donc un large débat public autour de la question du genre ?

En Suisse, le peuple peut décider de tout, de son avenir énergétique à l’achat d’avions de combat en passant par le congé parental. Alors pourquoi ne pas débattre sur la question du genre ?

Même si la transidentité est sans doute en forte augmentation actuellement, notamment parce qu’on en parle enfin, elle concerne et concernera toujours une infime partie de la population (1-2%), une minorité fortement discriminée n’aspirant pas à autre chose que d’avoir les mêmes droits et devoirs que tout un chacun. Cette reconnaissance ne limiterait en rien la liberté des autres, elle ne ferait que grandir la société dans son ensemble.

Faut-il un débat public pour cela ? Pourquoi pas, mais il devrait alors être tenu par des personnes qui savent de quoi elles parlent, être basé sur des faits et pas sur des émotions personnelles, et en gardant toujours en mémoire que faire une transition n’est jamais un choix, seulement une nécessité de survie.

[1] Nous parlons ici de genre, et non de sexe même si ce dernier terme est utilisé dans le code civil, et dans la loi discutée actuellement aux chambres. En effet, ce qui définit une personne dans la société est bien davantage lié à son expression de genre, à la perception que la société a de cette personne (attribution de genre) et aux rôles que la société en attend (rôles de genre) plutôt qu’à son sexe biologique.

[2] Le taux de suicide est jusqu’à dix fois supérieur chez les jeunes trans* à celui des jeunes cisgenres.
(Source : Stop Suicide 2017, www.stopsuicide.ch)

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Lynn Bertholet

Banquière, activiste pour la Diversité et l’Inclusion, fondatrice et présidente d’ÉPICÈNE, association d’utilité publique en faveur des personnes transgenres, Lynn Bertholet a étudié à HEC Lausanne, à l’IMD et à la Graduate Business School de Stanford. En 2015, elle a été la première femme transgenre à Genève à obtenir de nouveaux papiers d’identité avant même d’avoir subi une opération chirurgicale.

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