Les yeux plus grands que le ventre: quand un tournedos veut ta peau

Critique gastronomique: métier à haut risque

Critique gastronomique: le rêve! Oui, mais contrairement à ce que l’on peut penser, il n’est pas exempt de tout danger. Une fois, il a même failli me coûter la vie.
Un matin, j’ai reçu l’appel d’un chef qui se proposait de m’inviter à manger. Impossible, ai-je répondu. Si je ne paie pas mon addition, je perds ma crédibilité. J’aurais pu payer, me direz-vous. Mais ce chef travaillait dans une cuisine de collectivité et un article sur un self-service fermé au public n’aurait intéressé personne. C’était compter sans la ténacité du chef qui, en marge de ce self-service, avait lancé un restaurant privé pour des repas fins en petit comité. Là, il a titillé ma curiosité. Alors j’y suis allé.

J’ai traversé le hall rutilant du grand centre administratif, puis l’immense self-service, pour faire la connaissance d’un jeune cuisinier à l’œil malin et à la passion communicative. Il m’a fait tout visiter, puis il m’a installé dans un salon tout au bout d’un long couloir: bon appétit!

D’emblée, le repas fut un festin: dressages millimétrés, produits exquis. D’une entrée à l’autre, je me suis retrouvé devant une magnifique pièce de bœuf, d’espiègles légumes colorés et une saucière emplie d’un jus onctueux et équilibré. Où est le danger, vous demandez-vous? Là où je l’attendais le moins: dans ma plume.

En effet, quand je suis seul à table, j’écris ou je dessine toujours. Ce jour-là, je gribouillais le plan de la maison de mes rêves. Concentré, j’ai machinalement embouché un morceau de viande pour l’avaler sans mâcher. Mauvais plan: trop gros, le morceau s’est bloqué dans mon oesophage! Plus d’air! En quelque dixièmes de secondes, j’ai réalisé que j’étais seul au fond d’un interminable couloir et que j’allais sans doute mourir là, maintenant. Je me souviens même avoir pensé que cela me vaudrait peut-être – à titre postume – la manchette du Matin: «Il meurt par là où il a péché». Mais je ne voulais pas de ça!

Tel un zombie, j’ai donc longé le couloir, la vue de plus en plus trouble, pour arriver au haut des quelques marches qui descendaient vers les trois cents convives du self-service. Là, je suis tombé à genoux, tentant dans un dernier effort théâtral d’agiter une main pour me faire remarquer. Mais non, ils étaient tous occupés à manger, le nez dans leur plateau. Coup de théâtre, la porte coulissante de la cuisine s’est ouverte: plateau à la main, une serveuse en plein élan m’a vu, à terre, légèrement bleuté sans doute: «Ouhh, il est pas bien le monsieur! », s’est-elle écriée. Bon diagnostic! Alors elle a appelé le chef, qui, heureusement pour moi, connaissait la manoeuvre de Heimlich: une compression du buste en me soulevant brusquement. Et ça a marché!

Comme Blanche-neige a régurgité sa pomme, j’ai craché mon tournedos. Et je peux vous assurer que ce chef, je lui en serai redevable toute ma vie. D’ailleurs pour lui dire merci, je lui ai fait envoyer de l’Infini, un excellent vin rouge des Caves de Genève, au nom évocateur, qui en dit long sur ma gratitude…. et sur mes espoirs de longévité!

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *