Doublement démasqué!

Tout le monde le sait, un critique gastronomique ne s’annonce jamais. Et pourtant, en vingt ans à la tête du GaultMillau en Suisse romande, je n’ai réservé qu’une seule fois sous un autre nom que le mien. C’était tout au début. Pourquoi ? Expérience faite, mieux vaut être transparent que démasqué…

C’était il y a une vingtaine d’années et ce soir-là j’avais décidé d’aller manger au Cerf, à Cossonay. Une table merveilleuse s’il en est, mais où l’excellent chef, Carlo Crisci, me connaissait déjà. Me croyant astucieux, j’ai donc réservé sous le nom de jeune fille de Carole, ma femme.

Mais, n’est pas 007 qui veut. Surtout dans le monde de la restauration romande, aussi impressionnant par l’envergure de sa qualité, que petit quand il s’agit de la circulation des informations. Et parmi celles-ci, il n’y a pas que mon nom! Mais je ne le savais pas encore.

Content de mon stratagème, j’ai donc fait une entrée que je voulais discrète dans ce magnifique Cerf qui arborait déjà ses 18 points. J’ai descendu les trois marches, me suis arrêté au pupitre et annoncé à la charmante demoiselle qui était là que j’avais «une réservation pour deux, au nom de Badoux».

La jeune femme s’est mise à chercher dans son registre quand, derrière le rideau de la garde-robe, une voix amusée a lancé : « Oui, tu vois, c’est Monsieur Schwander, mais aujourd’hui il a réservé sous Badoux ». A peine débarqué, j’étais déjà démasqué. Mais comment ?

En fait, à cette époque-là, le maître d’hôtel du Cerf s’appelait Mario et il me connaissait du wine bar du Beau-Rivage, à Ouchy (aujourd’hui remplacé par le BAR). Un vrai talent du service, vif et volubile, doté d’une mémoire d’éléphant. Et dans un recoin de cette mémoire, il y avait un enregistrement de ma voix, assez grave, apparemment, pour être identifiable.

Alors voilà, grâce à ce que j’imaginais être une ruse, j’étais doublement démasqué. Non seulement le subterfuge était découvert, mais il rendait évident le fait que je ne venais pas juste pour me faire plaisir: si le responsable du GaultMillau vient sous un nom d’emprunt, c’est bien qu’il a quelque chose à cacher. Raté, donc! Mais le repas, lui, fut une réussite, comme à chaque fois.

>> www.gaultmillau.ch

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