Réapprendre à voir à l’heure de l’IA

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Les images créées en quelques secondes par des outils d’intelligence artificielle nous déroutent par leur réalisme et mille questions émergent sur leur répercussion dans nos vies. Pourtant, l’imagerie publicitaire nous confrontait déjà au trouble de la réalité double ou multiple. Intellectuellement nous savons que dans la pub « tout est retouché » et ne correspond pas à la réalité du mannequin en chair et en os. Mais notre regard s’est habitué aux portraits en version « améliorée » par un travail de retouches, et nous les préférons souvent à un visage au naturel. Alors comment naviguer dans un flot visuel qui inclut des compositions générées avec les technologies Midjourney et autres ?

Moins zapper et découvrir des proches de Frankenstein

stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia
Images générées par Dall.e en réponse à des questions de stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+

Face aux images produites par la version gratuite de Dall.e (ou craiyon, une version antérieure), nous avons joué au jeu des erreurs avec Ali, un étudiant du Centre universitaire d’informatique de l’UNIGE en stage à la fondation images et société.

Voir sur un ordinateur ou sur un téléphone ne permet pas la même perspicacité : les peaux lisses comme de la cire ressortent davantage sur un petit écran, tandis que les mains surréalistes ou les morceaux du puzzle visuel assemblés deviennent plus visibles sur un grand écran. Parfois, on retrouve des proches de Frankenstein avec des détails étrangement défigurés.

Mais au quotidien, nous zappons sur les images et interrogeons rarement leur fabrication ou leur effet sur nous. Pourtant, le flot continu de modèles souvent irréels nous influence, au point que nous sommes nombreux à être insatisfait.es de notre apparence en nous comparant à ces icônes. Comment réapprendre à voir au-delà des impressions furtives, lorsque les ingrédients ne sont pas listés comme sur un produit alimentaire ?

Pour Ali, ce sont les performances de l’outil This Person Does Not Exist qui l’ont choqué en 2019. « Voir des visages réalistes entièrement fabriqués par ordinateur m’a causé un malaise. C’était la porte ouverte aux dérives et aux faux comptes, qui ont même posé des problèmes à des réseaux comme Facebook.»

Quelle vision des stéréotypes selon l’IA ?

stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+
Images générées par Dall.e en réponse à des questions de stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+

Verbalement, ChatGPT répond doctement à la question des clichés de genre et de culture. A nos demandes autour du thème « stéréotypes de genre, de culture et lgbtqia+ », Dall.e a proposé des résumés visuels reprenant des caractéristiques récurrentes du masculin, avec des déformations et jointures parfois marquées: regard sévère, moustache ou barbe, cravate pour les hommes occidentaux, robustesse physique et expression violente pour les personnages afro, finesse et postures des arts martiaux pour les visages asiatiques.

Côté femmes: des bouches rouges, des regards coquins, rondes ou minces, décolletés et jambes exposées sont fréquentes. En bref, pour Dall.e, la femme se résume à un corps sensuel, l’homme se caractérise par des regards sérieux et du mouvement, posture droite et sourire synthétisent l’androgyne.

L’intelligence artificielle régurgite ce qui l’a alimentée. Mais savons-nous reconnaître les différentes couches de stéréotypes quand les prouesses techniques monopolisent notre attention ?

Connaissez-vous Eve et Adam des médias ?Eve et Adam des médias

Ces deux collages de la série « Media Models » synthétisent le masculin et le féminin omniprésent dans les publicités et l’imagerie de mode que nous voyons chaque jour. Durant l’exposition « Face à face » organisée par le Musée national de Stockholm entre 2001 et 2002, ces condensés visuels créés par Eva Saro étaient au cœur d’ateliers de « décod’image », et faisaient écho aux portraits peints des cinq derniers siècles. Le but de ces mises en lien entre peintures du passé et imagerie de notre quotidien ? Elargir nos perspectives sur la représentation du pouvoir, de la beauté et du masculin-féminin hier et aujourd’hui.

Ces deux collages ainsi que les portraits dans les chariots sont la propriété de la fondation images et société.

Aiguiser le regard pour augmenter notre espace de choix

Expo VisagesVisible à l’espace EyeSmart à Genève, l’exposition didactique « Eve et Adam des médias » nous met face à des collections thématiques de visages et de corps, récoltés par les équipes de la Fondation images et société dans différents magazines et enrichies sur trois décennies. Les seniors sont au centre d’une autre exposition, mise sur pied pour Cité Seniors.

Né d’un atelier développé pour Nokia et son publicitaire international, après une communication critiquée en Scandinavie et en Thaïlande, l’outil s’est avéré pertinent pour aiguiser le regard des jeunes comme des professionnel.les de l’image.

Lors d’un atelier de « décod’image », un garçon de 13 ans s’est exclamé: « Maintenant je comprends mieux pourquoi ma mère a peur de vieillir.»

 

Le fait d’explorer des collections visuelles issues de la publicité, de la mode ou de la politique introduit les partipant.es à (re)connaître les tendances dominantes des clichés et de la retouche. Ensemble, nos différents regards et observations se complètent pour constituer une grille des stéréotypes tant visuelle que verbalisée. C’est l’occasion d’interroger les modèles autour de nous et ceux que nous avons internalisés, le plus souvent à notre insu, et qui limitent l’expression de nos penchants.

Qui est le plus souvent en couleurs et qui se préfère en noir-blanc ?

Magazine TrajectoireLa plupart de nos visiteurs avouent ne pas l’avoir relevé consciemment: Eve des médias est souvent en couleurs, tandis qu’Adam est sombre et sérieux.

Autre tendance saillante des stéréotypes: la femme jeune, souvent blonde avec des yeux clairs, l’homme plus âgé ou marqué.

 

Durant les ateliers créatifs, les garçons préfèrent la version de leur portrait en noir-blanc, les filles trouvent que cela les rend trop sérieuses.

Qui est souvent (dé)vêtu ?

Qui est souvent (dé)vêtu ?
Source: notrecinema.com, cinemaffiche.fr, allocine.fr

Les affiches des films de James Bond résument nos schémas culturels typiques : de 1962 à1987 ou 2015, l’homme en vêtements sombres et couvrants, la femme en tenue de plage ou robe légère. On peut renouveler les collections thématiques et les mêmes ingrédients de base persistent. Les variations restent. Avec quels effets sur nous ?

Les clichés évoluent-ils ?

Dans les premières collections d’imagerie publicitaire de la fondation images et société, les corps féminins dénudés y prédominaient pour vendre de tout. Quelques corps d’hommes métis ou afro apparaissaient aussi. L’homo occidentalis clair de peau restait vêtu. Les magazines destinés aux homosexuels et au sport ont contribué à promouvoir des Occidentaux montrant leurs muscles. Néanmoins, ils posent le plus souvent très droits et présentent une expression sévère. Au contraire des corps féminins contorsionnés que le « schéma synoptique des oppositions pertinentes » de Bourdieu relevait déjà, et que les collections visuelles d’Erwin Goffman faisaient également ressortir.

Comment changer nos points de vues ?

Les images raffinées que peuvent produire Midjourney et ses proches ne chambouleront sans doute pas ces schémas limités et limitants. Pour la plupart des jeunes et des adultes, ces archétypes restent difficiles à mettre en mots et s’en éloigner est souvent malaisé. Devant les modèles médiatisés ou les portraits « améliorés » par des filtres, la réaction la plus fréquente est une auto-critique et des considérations esthétiques sur les images de mode. C’est pourquoi, dans nos ateliers, nous invitons les participant.es à imiter les poses pour mieux en ressentir la portée sur nous, quel que soit notre âge. Un cheminement pour mettre des mots sur des émotions, mieux se connaître, et peut-être accorder davantage nos actions avec nos intentions d’exprimer notre diversité.

A propos d’Eve et Adam des médias

Eva Saro

Eva Saro est l’initiatrice des activités didactiques de la fondation images et société. Ateliers et expositions sont nés de trois décennies de collaborations avec musées, écoles, programmes de santé et entreprises. L’approche de « décod’image » d’Eva a été sélectionnée par les Netdays européens et The Learning Eye (éducation à l’image pour adultes). Son activisme socio-culturel l’a amenée à transformer des affiches de rue avec des jeunes. La co-création est aussi au cœur de la plateforme EyeSmart.

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