Posés sur une table en bois de chêne, les deux volumes du roman "Changer l'eau des fleurs" de Valérie Perrin, sur lesquelles est posée, de travers, une paire de lunettes de vue, branches déployées vers la gauche de la photo. On devine que ce sont des doubles-foyers.

Être déficient visuel et aimer la lecture: le prix à payer

La saison des prix littéraires touche à sa fin. L’occasion idéale de remanier pour vous une réflexion que j’ai menée sur Linkedin en 2019, et toujours aussi douloureusement actuelle. L’occasion, surtout, de vous faire découvrir, en cette veille de Journée internationale de la canne blanche, une des possibilités de lecture qui s’offrent aux personnes déficientes visuelles: l’acquisition des livres en gros caractères.

Je ne m’attarderai pas ici sur le prix du livre en Suisse, sujet longuement débattu, porté en votation en 2011 et qui amènera sûrement encore le peuple à se prononcer par les urnes. Il est acquis que le prix du livre papier comme numérique est plus élevé en Suisse que chez nos voisins. Le prix des livres en gros caractères ne fait pas exception, avec une surprise en prme.

Un choix onéreux

On choisit d’acquérir des grands formats classiques chez des éditeurs bien connus de tous comme Gallimard ou Albin Michel, pour le plaisir de posséder un bel objet, voire une édition brochée.. En tant que personne déficiente visuelle, cependant, on ne choisit pas de lire en gros caractères. Les grands formats sont le prix à payer pour poursuivre la lecture sur livres imprimés. (Quand, bien sûr, cela est encore possible.)

[…] on se retrouve à payer un roman grand format au prix de deux grands formats ordinaires.

Et quel prix! Le grossissement des caractères induit un effet pervers. Il augmente considérablement la pagination initiale des ouvrages. Résultat, un roman qui, dans sa version classique,  tient en un seul volume peut, en gros caractères, être imprimé en deux volumes, vendus évidemment ensemble. Au final, on se retrouve à payer un roman grand format au prix de deux grands formats ordinaires. C’est ce qui m’est arrivé l’an dernier en acquérant le roman de Valérie Perrin Changer l’eau des fleurs (que je vous recommande d’ailleurs chaudement), dans une librairie genevoise. Montant de l’acquisition? Plus de 60 francs! Une somme qui correspond à l’acquisition de quatre à six livres de poche en Suisse romande. Livres que je ne peux personnellement plus lire sans appareil de lecture (j’en parlerai dans un prochain article) et, surtout à deux grands formats, alors que je ne suis repartie, au final, qu’avec un roman…

Alternatives

Évidemment, on pourra objecter qu’il existe des alternatives à l’achat de livres en librairie. Alternatives diverses, dont la moins onéreuse consiste en l’emprunt de livres en bibliothèque. C’est une possibilité qui offre un certain choix, selon les établissements. A Genève, la bibliothèque de la Cité est la mieux dotée avec… 750 livres en gros caractères pour une collection complète de près de 98’000 ouvrages! Autrement dit, la collection de livres en gros caractères mise à disposition des lecteurs de la Bibliothèque de la Cité constitue à peine plus de 0,75% de l’ensemble des titres proposés au public. Heureusement, elle a le mérite d’être assez diversifiée dans les genres littéraires qu’elle représente, puisqu’on y trouve aussi bien des polars que de la poésie ou des essais.

Liseuses et loupes électroniques

Il existe bien entendu d’autres alternatives à l’emprunt de livres en bibliothèque, si l’on souhaite rester dans la lecture visuelle. Des alternatives connues du grand public, comme l’achat de e-books consultables sur liseuses. Cette solution est souvent très pratique lorsque l’on est atteint de déficience visuelle. Elle permet d’adapter la taille des caractères, le type de police et sa graisse, le rétro-éclairage de l’écran, bref, c’est une très bonne alternative à la lecture papier, à cela près, justement, qu’elle écarte l’aspect physique de l’objet livre. Je possède moi-même une liseuse que j’utilise régulièrement, mais elle ne remplacera jamais pour moi, amoureuse de livres et de littérature, l’objet livre.

Surtout, elle possède un défaut: l’écran. La lecture sur écran, pour certains malvoyants dont je fais moi-même partie, est problématique. La lecture écran assèche particulièrement les yeux et fatigue plus que la lecture papier (c’est particulièrement vrai lorsque l’on fait appel à la fonction de rétro-éclairage des liseuses). Conséquence: on lit moins longtemps et moins confortablement (selon les cas, bien entendu). Surtout, c’est prouvé aujourd’hui, on retient beaucoup moins bien ce qu’on lit sur écran par rapport à ce qu’on lit sur papier. Le même problème d’écran et de mémorisation du contenu se pose avec l’usage d’appareils de grossissement comme les loupes électroniques et les appareils de lecture. Le confort de lecture n’est pas optimum, bien qu’ils soient des moyens auxiliaires extrêmement pratiques au quotidien (pour le travail administratif ou pour la lecture professionnelle non continue par exemple, j’en atteste moi-même). Pour la lecture suivie, ces mêmes appareils ont pratiquement tous aujourd’hui une fonction de reconnaissance de caractères qui leur permet de lire directement par synthèse vocale les documents qui leur sont présentés, avec les avantages et les inconvénients que cela suscite.

Action sociale

On l’a vu, il existe de nombreuses alternatives à l’achat de livres papier en gros caractères, à commencer par le passage au livre audio que je n’ai pas développé ici et dont je suis grande utilisatrice également, mais quid de l’amour du papier, de l’objet livre? Peut-on décemment restreindre l’accès aux livres aux lecteurs malvoyants, au travers d’une politique de prix prohibitive? Certes, aujourd’hui la mode n’est plus à la constitution d’immenses bibliothèques familiales, mais un lecteur a toujours plaisir à posséder des livres chez lui. Des ouvrages de référence, qu’il a particulièrement appréciés, qui ont marqué sa vie ou qu’il a simplement plaisir à lire et faire découvrir à ceux qui l’entourent. A 60 francs le roman (ou 30 francs pour un volume simple), difficile de s’offrir plusieurs livres en un mois. Dans cette situation, la lecture devient un luxe que peu de personnes en situation de handicap ou empêchées de lire vont pouvoir se permettre.

Le lectorat des livres en gros caractères est composé essentiellement de personnes malvoyantes. Et qui sont-elles?

  • Les personnes âgées (65 ans et plus) dont la population ne va cesser d’augmenter ces prochaines années.
  • Les personnes atteintes d’un handicap visuel de naissance, en bas âge ou au cours de la vie.
  • Les enfants ayant des troubles de lecture (troubles DYS, troubles de la concentration, difficultés cognitives, etc.).

Autant d’individus qui vivent souvent avec de petits revenus (AVS, AI, budget familial serré) et qui n’ont pas d’autres choix, s’ils veulent acquérir des ouvrages qu’ils pourront lire en toute autonomie, que d’acheter ces ouvrages en gros caractères.

Comment faciliter l’accès à l’achat pour ce public déjà précarisé et empêché sur de nombreux autres aspects de la vie courante? Envisager une politique tarifaire différente pour ces ouvrages spécifiques? Imaginer un “chèque-lecture” utilisable par les personnes concernées en libraire?

Qu’en pensez-vous?

Pour ma part, je continuerai à utiliser toutes les possibilité qui s’offrent à moi pour continuer à lire romans, revus et autres recueils de poésie, que ce soit sur papier, en version audio, numérique ou en braille (que je commence à découvrir en autodidacte). Et je continuerai à conseiller et accompagner tous ceux qui en ont besoin sur le chemin de l’acceptation du handicap quel qu’il soit.

Pour aller plus loin

Voici, de manière non exhaustive, les sites des quelques éditeurs les plus connus qui proposent des livres en gros caractères. Certains, comme A vue d’oeil sont difficilement distribués en Suisse en librairie:

Vous en connaissez d’autres? N’hésitez pas à les mentionner en commentaire!

D’ici là, excellente fin de semaine à vous et surtout… Bonne lecture!

 

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