Handicap: un autre regard

COVID-19: A qui profite l’argent donné à la Chaîne du Bonheur?

Billets de 50, 20 et 10 francs suisses éparses sur une table avec quelques pièces de monnaie.

La Chaîne du Bonheur est une institution bien connue des Suisses qui sont, à chaque collecte, très nombreux à répondre à l’appel aux dons. La communication mise en place par cette oeuvre  de bienfaisance tranche pourtant avec les informations communiquées sur le site des organismes qu’elle soutient.

Ces derniers jours et semaines, nombreux ont été les médias nationaux et régionaux qui se sont fait écho de la nouvelle collecte “Coronavirus” lancée par la Chaîne du Bonheur. Une campagne dont le maître-mot est l’aide aux personnes vulnérables en Suisse.

Le descriptif de la collecte “Coronavirus” tel qu’il est présenté sur le site officiel de la Chaîne du Bonheur.

 

Suspension des aides à domicile

Cette campagne m’a immédiatement mis la puce à l’oreille lorsque j’ai vu figurer, dans les organisations bénéficiaires de la collecte, l’Oeuvre suisse d’entre-aide ouvrière (OSEO). Non pas parce que je ne soutiens pas l’action de cet organisme, mais, au contraire, parce que je suis bien placée pour savoir qu’actuellement, en pleine crise sanitaire, une grande partie des services à la personne proposés par l’OSEO ont été suspendus. C’est le cas à Genève où EcoDom Services à domicile, qui propose des aides-ménagères pour tous et des dames de compagnies pour les seniors, a été purement et simplement suspendu dès l’annonce par le Conseil Fédéral le 16 mars dernier de la “Situation extraordinaire” et la publication de l’Ordonnance fédérale COVID 19 y relative. Une suspension décidée alors même que les aides-ménagères et aides à la personnes sont tenues de continuer à exercer, selon ladite Ordonnance. Cette situation n’a d’ailleurs eu de cesse d’être médiatisée ces derniers jours. Le 19h30 de la RTS s’en faisait encore écho mardi 7 avril, dans un reportage mentionnant que les femmes de ménages, les gardes d’enfants et les employés de maison étaient “censés poursuivre leur travail malgré les risques”.

Résultat des courses, l’OSEO qui est censée dispenser des prestations d’aide à domicile est aux abonnés absents. Et ce alors même qu’une bonne partie de la population continue à avoir besoin de ce soutien en cette période difficile, notamment les personnes âgées et celles en situation de handicap dont je suis. Pour ma part, j’emploie en temps normal une femme de ménage salariée et déclarée d’EcoDom Services, car il m’est devenu difficile de faire le ménage rapidement et efficacement par moi-même.

Lorsque la vue baisse, on ne voit plus la saleté aussi bien qu’avant. Grater le sol à quatre-pattes, le nez collé au carrelage pour bien voir les taches, c’est bien joli, mais cela casse le dos et prend des heures, quand ma femme de ménage reste facilement debout en passant la serpillère en quelques minutes. (Oui, on en revient toujours à la question du temps et de l’efficacité…) En ces temps de crise sanitaire, il est important de maintenir une certaine hygiène à domicile, une hygiène qui, pour cause de suspension des services à domicile de l’OSEO, demande beaucoup plus de travail et de temps pour être maintenue.

Entre la suspension des services à domicile de l’OSEO et la limitation actuelle du traitement des uniques dossiers en cours, je me demande: où va l’argent récolté par la Chaîne du Bonheur destiné à l’OSEO? D’autant que, les autres services de l’OSEO sont essentiellement axés sur la réinsertion professionnelle, comme vous pouvez le constater en surfant sur leur site internet. Donc assez loin de l’assistance aux personnes vulnérables qui souffrent de la situation liée au COVID-19.

Enrichir la Migros

Une partie de la réponse m’est arrivée par courrier postal de l’OSEO, pas plus tard qu’hier. En même temps, je recevais ma facture mensuelle du mois de mars comportant une seule date de ménage. Je vous laisse en faire la lecture.

Vous noterez comme moi, la formulation “nous avons été contraints de suspendre” [les services à domiciles]. Lorsqu’un simple coup d’oeil à l’ordonnance fédérale permet de se rendre compte que les services en question ne sont pas concernés par une mise à l’arrêt, on est en droit de s’interroger sur le vocabulaire utilisé… L’OSEO a peut-être fait ce choix, mais n’y a aucunement été contrainte! C’est mentir aux utilisateurs des services en question que de formuler la chose de cette façon dans ce courrier officiel.

Après avoir contacté la centrale téléphonique genevoise de l’OSEO, un employé m’a confié que “la décision avait été prise dans l’idée de protéger le personnel de maison, nombreux à prendre les transports en commun pour se rendre sur ses différents lieux de travail”. Une décision que je peux tout à fait comprendre, mais qui est très loin d’une contrainte fédérale. Quant à la situation des personnes vulnérables seniors ou en situation de handicap qui auraient malgré tout besoin du maintien de ces services au cas par cas, on m’a dit “comprendre”, mais “malheureusement ne rien pouvoir faire” pour moi. On m’a même recommandé de me diriger, momentanément, vers d’autres services qui proposent des services de ménage à domicile, comme batmaid.ch. En résumé, l’OSEO, organisme à vocation sociale, réduit voire supprime ses services pendant la crise du COVID-19 et renvoie à l’utilisation de services de PME privées, tout en faisant l’objet d’une collecte de fonds par la Chaîne du Bonheur…

Et quelle collecte, puisque celle-ci sera destinée, comme le mentionne le courrier ci-dessus, à offrir des bons d’achats Migros de Fr. 100.- à Fr. 200.- aux femmes de ménage avec leur salaire de mars à mai. Ai-je bien lu? Pour soutenir les femmes de ménage, on leur offre des bons d’achats achetés auprès d’un des plus grands géants de l’agro-alimentaire suisse? Autrement dit, l’argent de la Chaîne du Bonheur va, indirectement, aller remplir les caisses de la Migros? Suis-je la seule à trouver complètement anormal cet état de faits? Non seulement les personnes vulnérables bénéficiant en tant normal des prestations à domicile de l’OSEO s’en voient privées pendant la crise sanitaire, alors que c’est précisément encore plus en ce moment qu’elles en auraient besoin. Mais, en plus, l’argent récolté pour la Chaîne du Bonheur va aider le personnel, non pas par un petit bonus de salaire cash, mais en “engraissant” le géant orange? Nous prend-on pour des pigeons?

Vol vers Cluj-Napoca

Même interrogation lorsque j’investigue du côté d’une autre organisation bénéficiaire de la collecte de la Chaîne du Bonheur: Caritas. Une organisation elle aussi bien connue des Suisses et très active sur le terrain pour aider les personnes vulnérables, tant par des aides financières que par différentes prestations sociales ou solidaires.

Premier constat lorsqu’on arrive sur le site de Caritas Genève: une bannière qui annonce la réduction des activités pendant la crise du COVID-19, suivi d’un appel aux dons (à l’image ci-dessous).

Puis, surprise, première nouvelle affichée dans la section “Actualités” en page d’accueil: “Un vol humanitaire rapatrie en urgence des familles roms en Roumanie”.

Le surtitre de l’actualité en question annonce, je cite: “La crise sanitaire et sociale due au Covid-19 met à l’épreuve les populations les plus vulnérables, parmi elles, les Roms présents à Genève. A leur demande, Caritas Genève a organisé un vol humanitaire pour les rapatrier.”

Léman bleu a réalisé un reportage sur le vol humanitaire en question à destination de la Roumanie. De quoi interroger lorsque l’on sait qu’encore à l’heure actuelle des Suisses sont bloqués à l’étranger sans possibilité immédiate de revenir sur sol helvétique, car pas d’avions affrétés pour eux ou des billets, souvent à prix d’or, qui doivent être financés de leur poche et non de celle de la Confédération ou des dons faits à Caritas, comme on l’apprend ici. Difficile de savoir si le vol en question qui a été affrété “à la demande des Roms présents à Genève” dit l’article, a été financé par les fonds collectés par le biais de la Chaîne du Bonheur pour le Coronavirus. Néanmoins, cela interroge… Surtout quand la campagne de la Chaîne du Bonheur met l’accent sur l’aide aux personnes vulnérables en Suisse. Pour ma part, je ne vois aucun problème à affréter des vols humanitaires, pour autant qu’ils soient justifiés et que je sache que c’est eux que je soutiens et pas une cause initiale à laquelle je souhaitais destiner mon don.

Soutien effectif

Heureusement, il reste deux bonnes surprises avec la Croix-Rouge suisse et Pro Senectute qui restent au front et proposent de nouveaux services concrets pour aider les personnes vulnérables et être présentes pour les personnes dans le besoin en cette période difficile. La première a, entre autres, mis en place le premier centre de dépistage du coronavirus dans le canton de Berne et un services de bénévoles qui livrent les produits alimentaires et d’hygiène aux personnes âgées et menacées par le virus. La seconde a notamment lancé un concept de chaîne téléphonique pour prendre soin des proches et des voisins. La vraie chaîne du bonheur?

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