Et soudain, tout peut renaître grâce à un interlocuteur qui écoute vraiment

Magnifique dialogue d’un répondant de Tél 143 – La Main Tendue avec la journaliste Francesca Sacco, notamment un appel qui l’a profondément bouleversé. Cet échange très émouvant est extrait de l’ouvrage La magie de l’écoute*

Le 10 septembre est la Journée mondiale de prévention du suicide

Francesca Sacco. Questce qui vous a amené à faire ce travail?

Jean-Philippe. – Pendant longtemps, sans connaître véritablement l’échec, j’étais régulièrement dans des situations de non-accomplissement. J’ai fini par me retrouver en très mauvaise posture, avec deux options: me laisser aller ou rebondir. Me suicider était quelque chose que j’envisageais parfois en allant me coucher le soir, mais je savais au fond de moi que je voulais rebondir. Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui m’a amené à faire un travail sur moi-même. J’ai eu envie de devenir celui que j’étais vraiment. Puis, dans un stage de développement personnel, un formateur m’a donné des infos sur l’écoute active. Pourquoi est-ce que j’ai noté ces infos? Je ne sais pas. Mais dans les jours qui ont suivi, j’ai pris contact et, une année plus tard, je devenais bénévole. C’est un chemin qui n’a pas été facile…

FS. – Pourquoi?

JP. – Parce que c’est un travail qui demande une déconstruction plus ou moins importante selon les individus. Donc c’est une forme de douleur. Mais c’est aussi ce qui permet de se reconstruire. C’est long. Le processus de formation dure neuf mois. Et ensuite, ce n’est pas terminé. De loin pas. Mais je sentais que le fait d’aider les autres m’aiderait moi-même. En fait, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée en matière d’accomplissement personnel. Travailler ici n’est pas une obligation, mais je me sens obligé de donner de ma personne pour me sentir mieux. Aujourd’hui, je fais partie de la commission des formateurs et cette nouvelle position me pousse encore plus en dehors de ma zone de confort. Avec les stagiaires, la remise en question est quasi permanente.

FS. – Comment avez-vous senti que vous pourriez faire ce travail?

JP. – (Réfléchit longuement.) C’était une sorte de certitude. Pas une certitude de réussite, mais la certitude que j’y trouverais une place, ma place. Je croyais en ma volonté d’être là, voilà.

FS. – Une sorte de sentiment indiscutable d’être au bon endroit?

JP. – Oui, c’est bien résumé. (Réfléchit.) Vous pourriez répéter?

FS. – Une sorte de sentiment indiscutable d’être au bon endroit…

JP. –… au bon moment. Vous pouvez rajouter « au bon moment».

FS. – Quelles sont les qualités sur lesquelles vous pensiez pouvoir vous appuyer?

JP. – Ne sachant pas où j’allais, je pouvais difficilement prétendre quoi que ce soit; je pouvais juste mettre en avant ce que j’avais envie de devenir. J’ai eu la chance d’avoir de très bons formateurs, qui m’ont aidé à boucler le processus. Le fait que je me sois énormément investi a été l’un des facteurs clés de la réussite. J’ai combattu les résistances de mon ego pour me comporter en «bon petit soldat». C’est pour ça que je dis que le processus s’est un peu fait dans la douleur. J’ai tout accepté, tout appliqué avec soumission – même si je n’aime pas ce mot, parce qu’il est un peu péjoratif.

FS.–Vous diriez que vous aviez une posture apprenante?

JP. – Oui, tout à fait.

FS. – Donc, vous veniez pour apprendre?

JP. – Oui et non, parce que je n’avais pas vraiment conscience d’être en train d’apprendre. Sur le moment, je ne crois pas avoir réfléchi aussi loin. J’ai accepté de me remettre en question sans imaginer ce que ça impliquerait. Je ne savais pas ce que j’apprendrais. Et j’ai appris des choses que je n’aurais jamais soupçonnées.

FS. – Comme quoi?

JP. – Vous savez, certains appelants disent qu’ils n’arrivent même pas à se lever le matin… Quand vous découvrez cette réalité, c’est comme si deux mondes entraient en collision.

FS. – Vous avez découvert un autre monde?

JP. – Oui.

FS. – De loin, on pourrait penser que vous menez une double vie…

JP. – Oui, tout à fait. C’est une double vie, mais ça n’a rien de douloureux. Je ne pourrais pas vivre en permanence dans ce monde, mais je ne pourrais pas non plus y renoncer complètement. J’ai besoin de venir travailler ici. Cette double vie me convient parfaitement dans le sens où… je peux utiliser un mot cru?

FS. – Oui.

JP. – J’ai le sentiment que ça m’empêche de devenir con. L’écoute me nourrit. J’ai besoin de la nourriture que je reçois à travers les appelants, la formation continue et les échanges avec mes collègues. Il y a aussi la nourriture que je trouve en pratiquant l’introspection. Les appelants m’aident beaucoup à développer cette capacité à me nourrir moi-même.

FS. – C’est-à-dire?

JP. – Être confronté à des personnes qui, pour la plupart, sont beaucoup plus en souffrance que moi me permet de prendre conscience de ce que j’ai. On entend parfois parler dans les médias des gens qui ne vont pas bien, mais là, c’est du concret, je leur parle, je suis en interaction avec eux. Ils m’obligent à revoir mes idées préconçues, à développer mon empathie, à sortir de ma zone de confort. Et ça, c’est gratifiant. Quand je suis épuisé parce qu’il est trois heures du matin et que je sais que je vais devoir enchaîner avec une journée de boulot, je me dis: « Ouah, c’est incroyable ce que je fais! »

FS. – Parlez-moi des nuits.

JP. – On commence à minuit et on finit à huit heures du matin. J’arrive parfois en avance, aux alentours de vingt-deux heures trente, et j’essaie de dormir un peu avant de prendre mon service.

FS. – Est-ce que vos proches savent que vous travaillez ici?

JP. – Oui. Je le leur ai dit pour ne pas vivre dans les non-dits. Ce serait quand même paradoxal de tenter d’éviter les non-dits ici et de les accepter à l’extérieur!

FS. – Un appel qui vous a particulièrement marqué?

JP. – (Réfléchit.) Il y en a un qui remonte à une semaine. Statistiquement, le suicide concerne 1% des appels, donc c’est très rare. Jusque-là, je n’avais encore jamais parlé à quelqu’un qui me dit qu’il va mourir, là, tout de suite. Eh bien, c’est ce qui est arrivé. Un homme a téléphoné depuis un pont d’autoroute, il était prêt à sauter. Il appelait pour la première fois et il était un peu honteux de le faire. Il pleurait beaucoup. Mais ça s’est très bien terminé, puisqu’il n’est pas passé à l’acte. Il est rentré chez lui, il a pris une douche et est allé se coucher.

FS. – Comment vous le savez? Il vous a rappelé?

JP. – Non, il est resté en ligne. Il a quitté ce pont et il est monté dans sa voiture pour rentrer chez lui. En l’espace d’une heure, nous sommes arrivés, ensemble, à renverser la situation. J’en ai encore la chair de poule quand je vous en parle. Je veux dire, j’ai une boule dans la gorge. (Les larmes lui montent aux yeux.) Je suis désolé… (Observe un long silence.)

FS. – Qu’est-ce que vous lui avez dit?

JP. – Je ne sais pas si je peux résumer ça en quelques mots. (Observe un long silence.) C’est drôle, ça s’est bien terminé et pourtant je suis encore émotionné… C’était un échange incroyable. Je l’ai entendu, écouté. J’ai exprimé mon inquiétude pour lui, tout en étant très attentif à ce qu’il me disait. Il souffrait le martyre depuis sept mois, il était épuisé. D’ailleurs, il disait qu’il était au bout du rouleau. Ensuite, je me suis permis de lui poser des questions et je n’ai pas eu peur de le confronter à sa situation ni de le voir descendre encore plus profondément dans sa souffrance. À un moment donné, j’ai senti qu’il fallait tenter autre chose et je me suis livré un peu, en fait. Je lui ai demandé s’il était d’accord que je lui fasse part de quelque chose de personnel. Il a répondu oui et je lui ai raconté un épisode difficile de ma vie, en quelques mots, sans entrer dans les détails. Ça a déclenché quelque chose en lui. Il m’a dit: «Alors vous aussi, vous pouvez ressentir… ?» Et tout à coup, il s’est mis à me parler comme si j’avais été physiquement près de lui. Nous avons parlé de manière plus intime. J’ai senti qu’il commençait à entrevoir une autre issue. Il a cessé de pleurer, a respiré un grand coup et a soupiré: « C’est incroyable ce que tu me dis… »

FS. – Vous vous êtes tutoyés?

JP. – Oui, au bout d’une demi-heure.

FS. – Comment est-ce que vous vous sentiez?

JP. – (Réfléchit.) C’était un moment solennel. Pas dans le sens « grand discours». On aurait dit un aparté au milieu de cet échange un peu confus. Je me souviens que j’étais calme. Je n’ai pas eu besoin de chercher mes mots, j’ai parlé comme je le sentais, lentement. J’étais très authentique, vraiment très authentique… C’était solennel dans le sens que ça avait de l’importance – et ça, je suis sûr qu’il l’a ressenti. Il est passé du statut de la victime qui est en train de grelotter sur ce pont à celui de la personne qui s’apprête à accueillir une confidence. Mais nous n’étions pas dans un rôle inversé, hein. J’étais toujours «garant du cadre», comme on dit.

FS. – Est-ce que ce travail vous a changé?

JP. – Je dirais plutôt qu’il m’a transformé. Le verbe changer signifierait que je ne suis plus le même; or je suis toujours le même, mais avec quelque chose en plus. Je n’ai pas envie de renier mon passé, car c’est une partie de moi-même qui m’a mené là où je suis aujourd’hui. Je suis devenu plus serein, plus confiant. Moins sensible aux critiques comme aux compliments. Quand je surréagis, je suis capable de le reconnaître et de me reprendre. Mon ego me manipule encore, mais je sais que je peux le déjouer. Et si j’ai toujours des jugements, j’arrive à les stopper et je n’ai pas besoin de m’autoflageller en pensant « je suis nul » parce qu’un jugement m’a traversé l’esprit. En fait, je suis toujours dans le jugement, mais moins souvent et moins longtemps. Un autre truc que j’ai observé, c’est que je suis capable d’éprouver des émotions plus fortes, plus profondes. Par exemple, il m’arrive de pleurer en regardant un film. C’est quelque chose que je n’aurais pas pu faire il y a dix ou quinze ans. (Pause) En fait, je transfère dans ma vie privée des choses que j’apprends ici et vice versa. Mais je refuse d’être un répondant pour mes proches: pour eux, je reste Jean-Philippe.

FS. – Vous avez des rituels?

JP. – Non, du tout. Mais c’est intéressant, comme question. Parfois, je fais exprès de répondre depuis une autre pièce que le bureau d’écoute, pour éviter la routine. Je sais qu’il y a des collègues qui ont besoin de rituels ou de repères, mais moi, je me méfie des habitudes, de toutes les habitudes, y compris de celle qui consiste à répondre toujours depuis le même endroit. Et c’est drôle, parce que j’ai l’impression que ça change ma façon de répondre. Je ne réponds pas mieux, ni plus mal, mais différemment. Et c’est le but. J’ai envie de me maintenir dans un état d’attention permanente pour être aussi réactif et créatif que possible. Parce que vous ne savez jamais à quoi vous attendre quand vous commencez un service. Est-ce qu’il y aura dix, vingt ou quarante appels ? Des histoires dramatiques, surprenantes?

FS. – Donc, le fait de ne pas avoir de rituels devient un rituel pour éviter la routine…

JP. – C’est ça. Mon rituel est de ne pas avoir de rituels. (Sourit.) J’ai envie de rester complètement neuf, ouvert, et Dieu sait que c’est difficile ! En fait, je n’y arrive jamais…

FS. – Pourquoi?

JP. – Parce que c’est illusoire. J’ai quarante-cinq minutes de route à faire pour arriver ici. J’essaie d’utiliser ce laps de temps pour me mettre dans une bonne disposition d’esprit. C’est une forme de préparation mentale. Mais quarante-cinq minutes, ça reste court… Alors si, en plus, je devais exécuter des rituels, ce serait tout simplement impossible! Mais c’est une vraie question, ça : comment réussir à passer d’un monde à l’autre…

FS. – Vous faites quoi pour vous ressourcer?

JP. – Je profite des moments de partage avec l’équipe. Mais je crois à la nécessité d’une réponse globale. Au fond, ça relève de l’hygiène de vie. Donc, j’essaie de vivre d’une manière qui ne soit pas contradictoire avec ce que je fais ici. Je cherche à m’entourer de gens sereins, ouverts. Et là, je constate une chose étonnante, c’est que ce travail n’est pas seulement un enrichissement. Il comporte aussi un risque d’appauvrissement.

FS. – Comment ça?

JP. – Eh bien, il y a des gens que je ne vois plus… Je me suis rendu compte que nous n’avions plus les mêmes envies ou les mêmes intérêts. Il y a des soirées auxquelles je ne vais plus, parce que je sais d’avance que je ne me sentirai pas à l’aise. Parfois, je souffre de ne pas pouvoir parler davantage de ce que je vis ici sur le plan humain. C’est comme s’il y avait deux mondes qui ne se rencontraient pas…

FS. – Mais ici, vous êtes tous du même monde?

JP. – Oui, exactement. On est une cinquantaine et on sait qu’on peut se comprendre, parce qu’on parle le même langage. Bon, d’accord, il y a des fois où on n’y arrive pas… mais dans ce cas on le sait aussi et ce n’est pas un problème. On ne cherche pas nécessairement à se comprendre tout le temps.

FS. – Comment se déroule un appel?

JP. – Il n’y a pas d’appel type. Parfois, on entend juste une respiration et la personne raccroche aussitôt. On peut aussi avoir affaire à un habitué qui, à force d’appeler, ne sait même plus comment se présenter. Tous les cas de figure sont possibles. Moi, j’essaie de créer tout de suite de la confiance, parce que c’est seulement à partir de là qu’on peut faire un bout de chemin ensemble. Mais très souvent, le plus intéressant c’est ce qui se passe une fois que la personne a raccroché.

FS. – Comment vous le savez?

JP. – Eh bien, parce qu’il y a beaucoup d’habitués avec lesquels on est par définition amené à reparler, et qu’ils nous le disent. Et puis c’est assez normal de repenser à une conversation… et c’est souvent à ce moment-là que des choses peuvent se débloquer. (Pause) Si je résume, un appel c’est: accueillir, mettre en confiance, créer un lien et essayer de faire un petit bout de chemin ensemble.

* La magie de l’écoute. Entretiens avec des bénévoles de La Main Tendue et de S.O.S Amitié. Editions Georg, 2018, 224 pages. EAN13:9782825710852. Peut être commandé directement sur le site de l’éditeur : https://www.georg.ch/la-magie-de-l-ecoute

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Francesca Sacco a su, avec cet ouvrage, ouvrir une fenêtre sur le monde de l’écoute, pour mettre en mots un véritable bol d’air d’humanité, de bienveillance et d’attention portée à l’autre.

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Tél 143 – La Main Tendue offre une écoute anonyme et confidentielle à toute personne en difficulté émotionnelle.

Tél 143 est disponible 24h sur 24 et 7 jours sur 7 (la nuit est réservée pour les urgences)

Soutien par Tchat ou Mail sur www.143.ch/fr

Aux bénévoles anonymes qui ont aidé ma maman

Cette affiche ne vous rappelle rien ? Elle a été placardée dans toute la Suisse dans les années 1970

Ma maman disait souvent : ” J’ai encore appelé le 143. Heureusement qu’ils sont là ! ”

J’avais environ huit ans quand La Main Tendue (Tél 143) a lancé une campagne d’affichage dans toute la Suisse. On y voyait l’une de ces cabines téléphoniques de l’époque, avec des vitres à petits carreaux opaques qui laissaient deviner la silhouette d’une personne en train d’appeler. Je me souviens être restée un long moment devant le panneau. J’avais enfin la réponse à une question que je me posais depuis longtemps : voilà qui sont ces gens qui consolent ma maman !

Quarante ans plus tard, devenue journaliste professionnelle, j’ai eu une autre révélation. J’étais en panne de sujets d’enquête et, comme toujours dans ces cas-là, je m’étais mise à lire tout ce qui me tombait sous la main. Ne me demandez pas comment c’est arrivé, mais j’ai trouvé sur internet un rapport d’un observatoire de la téléphonie sociale. Il y avait une phrase qui disait en substance que les services d’écoute comme La Main Tendue sont entourés de mystère, à cause de l’anonymat et de l’absence de contact visuel. On ne sait rien sur ces bénévoles qui se relaient 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, toute l’année, pour répondre aux appels de la population.

La phrase suivante m’a fait bondir de ma chaise : les auteurs affirmaient que ce voile de mystère est une bonne chose, car si l’appelant savait à quoi ressemble le bénévole qui se trouve au bout du fil, le charme serait rompu, la magie s’envolerait. Je conçois volontiers que l’anonymat soit utile. J’imagine même volontiers qu’il rassure. Mais comment peut-on soutenir que le fait de savoir est nuisible ?

J’ai bâti toute ma carrière sur la recherche de la connaissance et de la vérité. Quand je suis entrée en journalisme, on m’a appris que c’était précisément cela, le métier : la recherche de la vérité. Bien avant d’être objectif, le journaliste se doit d’être honnête. Et si l’objectivité n’est pas toujours à notre portée, il est toujours possible d’être honnête, car nous savons tous, au fond de nous, si nous le sommes ou si nous ne le sommes pas.

Ainsi, cette petite phrase a réveillé en moi une vocation profonde. Je me suis figée sur ma chaise, saisie par la gravité de l’instant. J’ai décidé de démontrer que non, le charme et la magie ne disparaîtront pas si les bénévoles du 143 se dévoilent. Je leur consacrerais un livre, dans lequel je leur donnerais la parole. L’espace d’une enquête, je serais le 143 du 143.

Le premier témoignage m’a fait l’effet d’un choc culturel. Si j’ai appris une chose au cours de mes longues années de métier, c’est que j’ai l’obligation, en tant que journaliste, de dire la vérité ; mais les gens que j’interroge ont le droit de mentir – et ils ne s’en privent pas. Or j’avais là, devant moi, une personne qui sonnait parfaitement authentique. C’était en fait la personne que j’avais toujours secrètement rêvé d’interroger !

Les mois ont passé. Les entretiens se suivaient et j’étais contente d’interviewer ces bénévoles avec beaucoup de professionnalisme, une juste distance émotionnelle, sans chercher dans leurs témoignages des correspondances avec mon propre cheminement. Mais un jour, cette phrase a brusquement refait surface : ” J’ai encore appelé le 143. Heureusement qu’ils sont là ! ”

Se peut-il que derrière la journaliste engagée à servir un intérêt supérieur, il y ait eu cette petite fille de huit ans qui espérait peut-être pouvoir, un jour, rendre aux bénévoles du 143 ce que sa mère leur avait pris ? D’une certaine manière, je suis une enfant du 143. La chaleur humaine que ces bénévoles essaient de répandre dans le cœur des appelants ne suffit pas toujours à rallumer une flamme de vie. Mais mon goût pour la recherche de la vérité, ma sensibilité journalistique prouvent que des paroles bienveillantes peuvent, par une sorte de dissémination indirecte, profiter à une autre personne que celle à qui on les dit.

Rien ne se perd en ce monde.

Témoignage de Francesca Sacco

* La magie de l’écoute. Entretiens avec des bénévoles de La Main Tendue et de S.O.S Amitié. Editions Georg, 2018, 224 pages. EAN13:9782825710852. Peut être commandé directement sur le site de l’éditeur : https://www.georg.ch/la-magie-de-l-ecoute

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Francesca Sacco a su, avec cet ouvrage, ouvrir une fenêtre sur le monde de l’écoute active, pour mettre en mots un véritable bol d’air d’humanité, de bienveillance et d’attention portée à l’autre.

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Tél 143 – La Main Tendue offre une écoute anonyme et confidentielle à toute personne en difficulté émotionnelle.

Tél 143 est disponible 24h sur 24 et 7 jours sur 7 (la nuit est réservée pour les urgences)

Soutien par Tchat ou Mail sur www.143.ch/fr

Une personne sur deux y a pensé, et vous ? Notre cerveau peut nous envoyer le message que seul le suicide mettra fin à tous nos problèmes… 10 septembre, Journée mondiale de prévention du suicide

En Suisse, chaque jour deux à trois personnes décèdent d’un suicide selon l’Observatoire Suisse de la Santé (OBSAN). Ces chiffres ne concernent pas le suicide assisté.

Un proche vous parle de ses pensées suicidaires, cela vous laisse peut-être sans voix ou vous craignez de ne pas avoir les compétences pour lui répondre. Parlez avec elle ou lui, demandez lui comment vous pouvez l’accompagner dans ce moment difficile, proposez-lui de se confier à son médecin traitant ou un service d’urgence, de téléphoner à La Main Tendue au 143 (Tchat ou Mail sur www.143.ch/fr). Pour les jeunes, le 147 répond également H24. En cas d’urgence vitale, l’ambulance au 144 ou la police au 117.

En ce jour, nous pouvons repasser le film d’une personne proche partie précocement par suicide. Ces drames nous laissent un profond sentiment d’impuissance, les bras ballants et une foule de pourquoi restés sans réponses.

Être témoin d’un suicide est une terrible expérience « de vie », à l’instar des conducteurs de train. Cette vision et les sons associés peuvent s’ancrer en nous de manière durable et nécessiter un accompagnement.

On peut peut-être aussi se remémorer des pensées suicidaires qui, durant une période, ont envahi notre quotidien, à toute heure et de manière furtive. Remonter la pente ne fut pas simple. Par chance, on est toujours là, parfois fragile. La vie a offert de nouvelles opportunités ou des beaux moments partagés, les soucis sont devenus gérables ou appartiennent au passé. Réapprendre à se faire confiance, parfois millimètre par millimètre, n’est pas chose aisée. Chaque jour permet d’écrire une nouvelle page et de prendre un nouveau départ ou d’accepter ce qui est. Les épreuves de la vie sont bien souvent des révélateurs de ce fil qui nous relie à nos ressources personnelles, corde d’alpinisme ou fil de soie par endroit.

Depuis plus de 10 ans, Tél 143 – La Main Tendue est présente au Paléo Festival à Nyon pour informer le public de son offre. Je garde un souvenir très vif d’une dame, un peu gênée, qui contournait notre stand. Je lui ai souris, mon regard lui disait, ce sourire est pour vous. Après hésitation, elle s’est finalement approchée, a respiré un bon coup puis, troublée elle me dit « Si je n’avais pas appelé le 143, je ne serais pas à Paléo aujourd’hui ». Ce fut mon tour d’être émue, heureuse pour elle et les bénévoles qui se relaient H24 au 143 pour offrir une écoute bienveillante, confidentielle et anonyme. Au cours de cet appel, elle a ressenti que la répondante n’hésitait pas à la rejoindre « tout au fond du trou ».

La Main Tendue a ouvert son premier poste d’écoute à Zurich en 1957. Les cantons ou les régions suivirent au gré des volontés locales, couvrant petit à petit tout le territoire suisse et le Lichtenstein avec 12 postes d’écoute. Bien que le thème du suicide ait été la première motivation pour ouvrir des lignes d’écoute, bien vite, il s’est avéré indispensable de devenir généraliste pour toutes les problématiques existentielles, offrant ainsi une meilleure prévention pour le suicide. Service à bas seuil, chacun possédant un téléphone, gratuit et disponible 24h/7 jours, le Tél 143 est rapidement devenu le premier service d’aide en Suisse. Idéalement, les appelants qui ont des soucis à caractère non urgent devraient attendre le jour pour appeler le 143, laissant ainsi toute la disponibilité pour accueillir les appels d’urgence.

Chaque poste de La Main Tendue est indépendant financièrement et doit assurer sa pérennité grâce aux dons et aux subventions (variables d’une région à l’autre, environ 50% du budget pour le canton de Vaud). De nouveaux répondants sont recrutés chaque année, puis formés pendant environ neuf mois. Par la suite, les bénévoles sont actifs près de 25 heures par mois pour de l’écoute et de la formation continue. Un bénévolat passionnant qui donne du sens et des compétences approfondies, suffisamment motivant pour que les collaborateurs demeurent en moyenne près de huit ans au service de l’association.

En Suisse et au Lichtenstein, les pensées suicidaires sont évoquées au Tél 143 au gré des 250’000 appels annuels. De 2015 à 2019, le nombre d’appels ayant pour thème le suicide est passé de 2’600 à 4’700 par année, alors que le nombre de suicides a diminué. On ne peut que se féliciter que les personnes prennent de plus en plus leur courage à deux mains pour faire appel à Tél 143 ou online sur www.143.ch/fr pour demander de l’aide.

Minuit cinquante, l’espoir d’un renouveau parmi les appelants au 143 de La Main Tendue se fait sentir

La perfide insomnie parce que le cerveau ressasse sans trouver le mode « veille » ou parce que la boule à l’estomac ne se calme pas quelle que soit la position dans le lit, amènent des personnes en détresse à composer le 143 durant la nuit.

Comme promis, je partage avec vous deux nouveaux témoignages de répondantes qui évoquent leurs nuits d’écoute au 143.

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Minuit approche… Où est la lune ?

À cette heure-ci, le trafic sur l’autoroute est calme. Je roule sans encombre.

Il est temps de me préparer à une nuit de rencontres et d’écoutes, j’ai l’esprit libre, prête à écouter.

Chaleureusement accueillie par la collègue qui me précédait, je m’informe du déroulement de son service, je prends congé d’elle, puis enfin m’installe. Je ne dors pas, mais réserve la matinée suivante à la récupération.

Il fait sombre, où est la lune ?

En début de nuit, le téléphone sonne plus fréquemment. L’atmosphère est paisible ; seul le bruit du ruisseau donne l’impression qu’il pleut.

Plus la nuit avance, plus les bruits s’estompent : de temps en temps une ambulance, parfois un hélicoptère, une voiture de police ou de pompiers.

Je suis bien, présente à ce qu’il se passe. Au bout du fil, il y a les fidèles et les autres, les « nouveaux » qui déposent leurs soucis ou leur mal-être avec confiance.

La nuit favorise les confidences, laisse émerger les émotions. Les voix sont plus profondes, les liens plus spontanés. Je ne comprends pas toujours leur problème, mais j’essaie de montrer de l’empathie, parfois un trait d’humour nous permet de nous rejoindre. Ensemble nous avançons vers le jour.

J’apprécie que la nuit doucement se retire pour laisser place au jour, au réveil de l’activité de la ville et au rythme des saisons.

Où est la lune ?

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La ronde de nuit

La nuit au poste, tu es chez toi, tu peux t’installer comme tu veux, te laisser tomber sur n’importe quel fauteuil, sur le lit, dans n’importe quelle position, te glisser dans ton corps, t’incliner près du plancher, prétendre à l’immobilité, manger, bailler, dormir, sauter, courir, parler, chanter, suspendre ta journée. C’est un jardin d’accueil, c’est main par main, écoute par écoute refaire le lien en toute liberté nocturne.

C’est une « ronde de nuit » qui me transporte le long d’une route sinueuse, entre rupture, dépression, violence, amour. Autant de traces de l’instant, de bribes de vie : « ce qui te reste, tu l’adresses à la nuit, car la nuit les images te frôlent pour rhabiller les ombres le long de tes contours ».

On se faufile dans la solitude, dans les cris pour la survie. On se relève doucement pour continuer à marcher, l’âme est brisée mais le corps veut continuer à vivre : « tu laisses tomber un pied au sol, l’autre se relève ».

Dans le monde de la nuit, il y a de l’espoir, Victor Hugo écrivait en accordant à l’obscur le privilège justifié « Chacun dans sa nuit s’en va vers la lumière » et Diderot disait « La clarté est bonne pour convaincre mais elle ne vaut rien pour émouvoir ».

La nuit sublime le sentiment, une forme de connaissance non rationnelle mais sensible, consentir à la nuit c’est aussi s’abandonner au « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

Penser, parler et partager la nuit, c’est penser la manière dont l’obscurité change ma perception, transforme mon rapport aux autres ou modifie mon expérience du temps.

La nuit, elle enveloppe, elle pénètre par tous les sens, elle suffoque les souvenirs, elle efface presque l’identité personnelle. « On consent à la nuit parce qu’elle est dénuée de témoins à charge ».

En étant moins regardé, on est aussi moins regardant. Le regard sur les autres devient plus indulgent, plus innocent, moins autoritaire. « La nuit est un lieu propice aux expériences égalitaires ».

Festives ou angoissées, solitaires ou violentes, la variété des situations de la nuit dessine l’appelant avec des couleurs spéciales de perception et de sensibilité : « Le jour a des yeux, la nuit a des oreilles » (proverbe persan).

« Je crois aux nuits » écrivait Rilke. L’heure du présent est la plus importante, celle où se concentre le saisissement de la « forme du jour » !

La ronde de nuit est virtuellement à la fois sur la tour du guet, au haut d’un phare, au bord de la route, sur un quai de gare, au bord d’un lit, etc.

Ouverte la nuit, cheminement, accompagnement vers la naissance d’un nouveau jour, un lendemain plus lumineux !

Le jour on vit, mais la nuit on aime, on aime écouter car loin du monde, du bruit, on ne se sent pas la même !

La nuit n’est jamais complète        Paul Éluard

La nuit n’est jamais complète. 
Il y a toujours puisque je le dis, 
Puisque je l’affirme, 
Au bout du chagrin, 
Une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée. 

Il y a toujours un rêve qui veille, 
Désir à combler, Faim à satisfaire, 
Un cœur généreux, 
Une main tendue, Une main ouverte, 
Des yeux attentifs, 
Une vie, la vie à se partager.

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Les bénévoles de La Main Tendue sont sélectionnés avec soin, puis ils suivent une formation de base qui débute avec trois week-ends. S’ensuivent des formations spécifiques et l’apprentissage de l’écoute sur plusieurs mois.

Les postes de Suisse romande, Genève, Lausanne, Sion et Bienne (bilinguisme exigé), forment en principe chaque année une volée de nouveaux bénévoles. Il est possible de déposer sa candidature tout au long de l’année.

Renseignements : www.143.ch/fr puis sélectionner Votre région. Le contenu de la formation figure sous l’onglet Participer/Devenir bénévole.

Répondre la nuit aux appels du Tél 143 est un défi vraiment exigeant à relever

Chaque bénévole met en place une stratégie qui lui convient pour être en forme avant de faire une nuit au 143 – sieste en fin de journée, cafés au pluriel, méditation, yoga, …

Et, pendant le service, les répondant·e·s vont essayer de somnoler entre les appels ou peiner à se rendormir après un appel lourd.

Il n’y a pas une nuit qui ressemble à une autre, mais rares sont les nuits avec peu d’appels. Certains appels ne présentant pas de situations véritablement urgentes pourraient sans autre attendre le matin ; cela laisserait ainsi de l’énergie pour répondre à des personnes angoissées ou victimes de violence ou encore, envahies par des pensées suicidaires.

Les répondant·e·s ont mis sur papier leurs pensées, leurs images, leurs découvertes de l’Autre. Ceci pour relever le défi de faire une nuit au 143 et peut-être faire sienne la stratégie des collègues, une fois par mois, être seul·e pendant huit heures au 143.

Voici trois témoignages :

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Faire une nuit au 143, c’est déjà y penser toute la journée. Je sais que ma nuit sera différente.

Un rituel s’est installé, après le souper, je m’isole une ou deux heures pour être juste en ma compagnie. Une manière de me recentrer pour aborder la nuit.

Mon mari me fait une verveine et me souhaite bon courage. Aurait-il lui aussi besoin d’un rituel pour préparer ma nuit au 143 ?

Dès le départ de la maison, je me transforme en veilleuse de nuit. Les lumières allumées aux fenêtres m’interpellent. L’ambiance cotonneuse du poste rend les voix douces plus douces, les colères et les douleurs plus violentes.

Il n’y a pas de parasites et il en résulte un partage de l’intimité particulier. Je ressens également une responsabilité importante face à l’appelant, dans la profondeur de la nuit.

Tous ces éléments sont à la fois attirants et troublants.

Quand je repars du 143, quelque chose s’est passé entre les appelants et moi qui me booste pour la journée.

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J’arrive au poste bien avant minuit, détendue, après avoir dormi quelques heures, la circulation sur l’autoroute était fluide. Le temps d’échanger quelques mots avec le collègue qui termine son service, je l’accompagne vers l’ascenseur et ferme la porte à clé. Ainsi je me sens “chez moi”.

Je prépare mon lit : ma taie d’oreiller, mon sac de couchage et, par précaution, je mets mon réveil à 7h30 (je n’aimerais pas que le collègue qui viendra me relayer demain matin me trouve endormie…).

La première partie de ma nuit ressemble à un service en soirée, les appels se succèdent à un rythme soutenu, les 2èmes lignes également. Est-ce qu’un programme de télévision vient de se terminer ?

Vers les deux heures, parfois plus tôt, parfois plus tard, l’atmosphère change subitement. Tout à coup, il n’y a plus d’appels et je suis entourée par le silence. C’est alors que me viennent des images :
• Je suis le guet et je veille sur la ville endormie, je protège le sommeil de ceux qui se reposent
• Je suis un phare, un guide pour les bateaux qui, en relais avec d’autres phares, leur permet de trouver leur chemin dans la nuit sans heurter les rochers
• Je suis le capitaine de ce bateau au long cours voguant vers des horizons lointains et s’orientant à l’aide des étoiles….

Je me sens alors solidaire de tous les gens de la nuit, faisant partie de cette chaîne humaine qui vit en décalage. Je suis à mon poste, je me sens à ma place, je suis bien…

Les bruits de l’immeuble me surprennent tout de même un peu. Habituée à vivre dans une maison familiale où je n’ai jamais peur, ils ne m’inquiètent pas vraiment mais je les trouve étranges…

Je somnole un peu, ou peut-être je m’endors plus profondément, et tout à coup “dring”. J’ai la chance d’être sur pied très rapidement et même si l’appelant me dit “Je ne peux pas dormir”, je suis prête à entrer en lien avec lui. Je sais par expérience qu’au milieu de la nuit, tout paraît plus compliqué et que les petits problèmes prennent de l’ampleur. Alors j’imagine bien qu’en cas d’insomnie, les appelants ressentent des angoisses et je suis justement là pour les accompagner, même si parfois je me sens un peu engourdie. Ensuite, j’ai la chance de pouvoir retrouver rapidement le calme, une respiration paisible qui me permet de somnoler à nouveau.

Par contre, si derrière le “dring”, il y a un appelant avec un problème difficile et très lourd, c’est comme si une douche froide me réveillait instantanément. Toutes mes facultés et mon potentiel d’émotions se mettent aussitôt en place, comme un puzzle dans un dessin animé. Et je sais qu’à la fin de l’appel, je n’aurai plus envie de dormir pour le reste de la nuit, je m’occuperai à lire, faire un jeu sur ma tablette ou dessiner en attendant les prochains appels.

Un peu avant 8 heures, quel plaisir d’entendre mon collègue arriver et de partager le petit déjeuner en bavardant avant de reprendre la route pour rentrer à la maison où je dormirai quelques heures…

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Je n’ai pas encore beaucoup de recul concernant les nuits de service.
Mais j’avoue que les nuits me faisaient « un peu peur »
Allais-je les supporter ? au niveau de la récupération surtout.
Et je me rends compte que oui et j’en suis moi-même étonnée…

Durant mes services de nuits, je me sens encore plus proche de l’appelant… pourquoi ?
L’enveloppement de la nuit ? peut-être…

J’ai aussi le sentiment que l’appelant se dévoile plus aisément que durant la journée… pourquoi cette impression ? Je n’ai pas encore trouvé la réponse.
Peut-être la même réponse qu’à la question précédente.

J’ai un petit « rituel » la nuit… Je suis un peu peureuse seule la nuit… Alors je prends toujours bien soin de fermer à clé la porte.

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Promis, juré, je partagerai d’autres témoignages avec vous.

Tél 143 – La Main Tendue, une ligne d’écoute qui respecte la confidentialité, l’anonymat et les valeurs de la personne qui y fait appel. Le service est gratuit, hormis la taxe de base prélevée par le fournisseur de téléphonie. Également en ligne par Tchat ou Mail avec pseudonyme sur www.143.ch

On connaît la musique

Les instruments sont accordés et on a répété la mélodie pour pouvoir à nouveau jouer la symphonie de la vie ou le rapp du quotidien, mais avec arrangements et variations Covid.

Une ode à la liberté se fait entendre, mais attention aux fausses notes ; évitons de chanter le même refrain et jouons la partition de la responsabilité individuelle !

Le curseur liberté regarde vers le haut, mais le curseur responsabilité individuelle remonte d’autant, voire bien davantage. Les semaines de confinement nous ont permis de faire un arrêt sur image, de se remettre en question sur nos pratiques et de redonner sa place à l’essentiel tout en respectant les gestes barrières. L’instant de félicité est désormais tissé d’un fil ténu entre précaution, solidarité et droit individuel.

« Le miracle » qui chasse le Covid n’a malheureusement pas encore eu lieu. Nous avons pu expérimenter l’hyperconnectivité, le vivre ensemble virtuel pour enfin instaurer la distanciation sociale avec tout son le cortège de mesures de prévention. Pas simple ! On peut se sentir dépouillé de son humanité, gêné de ne pouvoir offrir son sourire caché derrière un masque ou un geste amical, peur de mal se comporter. Et cette insidieuse question qui tourne en boucle dans nos têtes : « combien de temps tout cela va durer ? »

Vous en avez ras le bol ? c’est votre droit et vous n’êtes certainement pas tout seuls. Il faudra s’armer de patience jusqu’à la mise en place d’un vaccin ou l’obtention d’une très large immunité de la population (actuellement bien inférieure à 10%).

Maintenant que les vannes de la liberté s’entrouvrent, le moindre relâchement dans notre attitude donnera au Covid l’occasion de danser la java, d’abord discrètement sur la pointe des pieds, puis dans un rythme endiablé… mais exponentiel, jusqu’à atteindre une nouvelle vague dévastatrice.

Et pile à ce moment-là, manque de chance… le jeune neveu de votre voisine fera une crise d’appendicite, la voiture d’un couple fera une embardée, un quadra ne consultera pas pour sa douleur à la poitrine et, un jeune homme qui ignorait qu’il était diabétique verra soudain sa vie basculer à cause du Covid.

Mais, les salles de chirurgie seront peut-être déjà occupées par des patients avec de lourds symptômes liés au Covid, nécessitant toute l’attention d’un personnel médical, déjà fortement sollicité et fatigué. Tout comme vous, je suis infiniment reconnaissante qu’il ait encaissé le choc de la première salve de Covid et sans avoir à choisir qui sauver. Il est donc de notre responsabilité de ne pas leur faire revivre, ce qui fut probablement la pire période de leur carrière professionnelle.

La reprise des activités de notre société est aussi l’expression de notre ambivalence entre crainte et joie. Vivre, c’est assurément prendre des risques, mais tout en mettant toutes les chances de son côté pour ne pas se mettre en danger, ni les autres. Attendue par nous tous, la reprise de la vie en commun, en mode solidaire et responsable, est essentielle.

Les gens veulent recommencer à travailler et pouvoir payer les factures restées en suspens. Les aînés souffrant de solitude se réjouissent de revoir leurs proches. Cette famille, dont le papa et mari est décédé, ne veut plus perdre d’autres êtres chers à son cœur, avant l’arrivée d’un vaccin. De nombreux enfants avaient hâte de retrouver leurs copains d’école et leurs enseignants. Quant à celles et ceux qui ont perdu leur job, ils attendent fébrilement que le marché du travail redémarre. Les retraités pleins d’énergie veulent se sentir à nouveau libres de poursuivre leurs occupations sans être stigmatisés. Les personnes souffrant de handicap peuvent à nouveau retourner dans leur atelier d’occupation. Une collègue atteinte d’une tumeur peut enfin être opérée dans les meilleures conditions et, je vous laisse allonger cette liste qui est sans fin.

Il y aura néanmoins, des personnes qui resteront encore « un bon moment » au bord du chemin, comme les artistes, les chômeurs, …
Après le mantra répété à l’envi « Restez à la maison ! », on pourrait persévérer avec « Solidairement responsables de notre santé à tous ». En mettant tout en œuvre pour éviter de transmettre le Covid, on donne accès à chacun à des soins dans les meilleures conditions. Courage et continuez à être vigilant et à prendre soin de vos proches !

Besoin d’écoute ? Envie de vous confier ? Quelque chose pèse lourd sur votre cœur ?

Prestations anonymes, confidentielles et gratuites. En cas d’urgence, également durant la nuit par téléphone.
La Main Tendue, Tél 143, Aide par mail ou Tchat sur www.143.ch

Envie de participer ? Les postes de Bienne, Genève, Lausanne et Sion recrutent régulièrement des répondant·e·s bénévoles. Sélection puis formation de base pendant environ 9 mois. Renseignements : www.143.ch puis sélectionner votre région.

 

Allo, La Main Tendue ? Témoignage d’un quotidien confiné

 

Tél 143 reçoit de très nombreux appels ayant pour thème le Covid-19. La Main Tendue garantit l’anonymat, les numéros de téléphone n’apparaissant pas sur l’écran du téléphone, le système les en empêchant. Une répondante m’a raconté…

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C’est une appelante que je connais un peu, une habituée souvent à cran, impatiente, qui supporte mal, lorsqu’on est déjà en ligne, de devoir attendre ou rappeler. Je la prends comme elle est et habituellement le «courant» ne se passe pas trop mal.

Aujourd’hui, elle est en pleurs, davantage à bout qu’ordinairement, autant dire très à bout… Sans grande surprise, je découvre combien ces directives de confinement et de «distanciation sociale» doivent intensément affecter les personnes vulnérables psychiquement. Si tout le monde est chamboulé, a perdu ses repères, qu’en est-il de ces personnes hypersensibles…

Elle se met à décrire avec beaucoup de clairvoyance et d’honnêteté sa détresse, son découragement, l’état dans lequel faire ses courses l’a mise. Oui, faire ses courses avec toutes ces nouvelles mises en garde, ces injonctions… Être soi au milieu des autres : mission impossible ! Trop près, trop loin. L’acte banal de faire ses courses devient hautement compliqué.

À un moment, elle dit qu’elle ne sait pas si elle va pouvoir survivre à cela, elle dit qu’elle voudrait mourir et à tout prendre attraper ce virus mais elle se reprend par égard pour les autres, elle ne peut pas vouloir ça. Elle dit ensuite combien c’est terrible de savoir que les médecins doivent parfois choisir qui soigner.

Et puis nous évoquons cette réalité : le plus faible sacrifié dans certaines cultures ou chez les animaux. Je découvre alors une femme cultivée. Au fil de l’échange, qu’elle alimente vraiment de ses réflexions, de ses connaissances, je sens qu’elle reprend… du poil de la bête. Et comme ça de fil en aiguille, elle mentionne les Celtes. Elle s’est en effet vivement intéressée à ces peuples, à leurs coutumes, à leurs manières de vivre. Elle est particulièrement sensible à la place des femmes qui rivaliseraient à part égale avec les hommes à une certaine époque.

C’est alors magique de la sentir emportée par un élan, une énergie, une force qui contrastent du tout au tout avec la couleur du début de l’appel. Je lui suggère de peut-être essayer une prochaine fois de se mettre dans la peau d’une femme celte pour affronter le défi de faire ses courses ! Elle rit. Nous rions.

Je relève combien je l’ai entendue dans une terrible détresse et là, maintenant, avec un si bel enthousiasme. Je crois, et le lui dis, que nous sommes faits de ces deux facettes, de ces deux extrêmes.

Je ressors de cet appel, curieuse des Celtes et ravie. Ravie de ces contrastes, de ces surprises. Au fond, c’est pour permettre et pour vivre ce type d’expériences que je suis répondante au 143.

(Pour des raisons évidentes de confidentialité, des éléments ont été modifiés)

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Que du bonheur d’entendre ce témoignage, de ce moment qui a véritablement relié deux femmes. On ressent une bouffée de soulagement pour cette appelante torturée par un quotidien dont les normes sont soudain chamboulées.

De verbaliser ce qui provoque son mal-être, de le partager le temps d’un appel, lui a probablement permis de porter un regard différent et d’abaisser sa crainte de faire ses courses.

Envie de devenir répondant·e ? www.143.ch et sélectionner le poste de votre région : Genève, Nord-Ouest (Bienne), Valais ou Vaud

Maelström : courant marin formant un tourbillon – tous dedans !

Tourbillon....?

Ce courant nous entraîne dans une intense agitation – chaque fois qu’une vaguelette ou ses gouttelettes, lorsqu’elles en touchent une autre, font petit à petit augmenter ce tourbillon, celui-ci écrase ou révèle de nouvelles vagues.

Inhabituel, avec le Covid-19, le respect de nos jours, c’est de mettre de la distance avec les personnes autour de nous, à la pharmacie ou lors des achats de vivres. Cette nouvelle forme de solidarité révèle l’importance et l’urgence d’adopter un nouveau mode de vivre ensemble encore plus altruiste : je vous ai vu·e·s, vous existez à mes yeux, vous n’êtes pas transparent·e·s, je respecte votre zone de sécurité et la mienne mais, cela n’empêche pas d’échanger quelques mots. Sur demande, l’oubli de la distance sociale de 2 m est de suite prise en compte, sans agacement.

Votre état de santé dépend de mon état de santé et inversement – nous sommes toutes et tous dans le même tourbillon, ici et au-delà des mers.

À contrario, le téléphone et ses dérivés redeviennent de formidables outils pour relier toutes les générations. Avec ou sans visuel de son interlocuteur, la voix, le souffle et les silences peuvent aussi en dire long et permettre des échanges intenses.

Si la solitude ne peut être rompue, si les soucis ou la peur sont trop omniprésents, si l’addiction se fait plus vive, si le climat ambiant pèse trop lourd, en ces temps hors du déjà vécu, La Main Tendue est présente pour chacun·e par téléphone au 143, par Tchat ou Mail sur www.143.ch.

Merci aux milliers de personnes qui agissent sans compter leurs efforts, face au danger ou dans l’ombre, comme les répondant·e·s du Tél 143, pour maintenir le navire sur les flots. Elles et ils sont le révélateur que, sans eux, ce serait la galère absolue, alors mille mercis ! vous êtes extraordinaires !

En pareille situation de crise, le chacun·e pour soi n’est pas viable, c’est de l’obsolescence programmée, le maelström en roue libre.

Soyons solidaires, restons à la maison et respectons les consignes ! Ainsi, nous pourrons plus vite, ou moins tardivement, passer à autre chose… tout en gardant le meilleur : l’écoute, le respect et la solidarité !

P.S. : Tél 143 – La Main Tendue recherche des bénévoles pour les prochaines volées de formation. Informations sur www.143.ch puis sélectionnez les pages de votre région.