Minuit cinquante, l’espoir d’un renouveau parmi les appelants au 143 de La Main Tendue se fait sentir

La perfide insomnie parce que le cerveau ressasse sans trouver le mode « veille » ou parce que la boule à l’estomac ne se calme pas quelle que soit la position dans le lit, amènent des personnes en détresse à composer le 143 durant la nuit.

Comme promis, je partage avec vous deux nouveaux témoignages de répondantes qui évoquent leurs nuits d’écoute au 143.

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Minuit approche… Où est la lune ?

À cette heure-ci, le trafic sur l’autoroute est calme. Je roule sans encombre.

Il est temps de me préparer à une nuit de rencontres et d’écoutes, j’ai l’esprit libre, prête à écouter.

Chaleureusement accueillie par la collègue qui me précédait, je m’informe du déroulement de son service, je prends congé d’elle, puis enfin m’installe. Je ne dors pas, mais réserve la matinée suivante à la récupération.

Il fait sombre, où est la lune ?

En début de nuit, le téléphone sonne plus fréquemment. L’atmosphère est paisible ; seul le bruit du ruisseau donne l’impression qu’il pleut.

Plus la nuit avance, plus les bruits s’estompent : de temps en temps une ambulance, parfois un hélicoptère, une voiture de police ou de pompiers.

Je suis bien, présente à ce qu’il se passe. Au bout du fil, il y a les fidèles et les autres, les « nouveaux » qui déposent leurs soucis ou leur mal-être avec confiance.

La nuit favorise les confidences, laisse émerger les émotions. Les voix sont plus profondes, les liens plus spontanés. Je ne comprends pas toujours leur problème, mais j’essaie de montrer de l’empathie, parfois un trait d’humour nous permet de nous rejoindre. Ensemble nous avançons vers le jour.

J’apprécie que la nuit doucement se retire pour laisser place au jour, au réveil de l’activité de la ville et au rythme des saisons.

Où est la lune ?

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La ronde de nuit

La nuit au poste, tu es chez toi, tu peux t’installer comme tu veux, te laisser tomber sur n’importe quel fauteuil, sur le lit, dans n’importe quelle position, te glisser dans ton corps, t’incliner près du plancher, prétendre à l’immobilité, manger, bailler, dormir, sauter, courir, parler, chanter, suspendre ta journée. C’est un jardin d’accueil, c’est main par main, écoute par écoute refaire le lien en toute liberté nocturne.

C’est une « ronde de nuit » qui me transporte le long d’une route sinueuse, entre rupture, dépression, violence, amour. Autant de traces de l’instant, de bribes de vie : « ce qui te reste, tu l’adresses à la nuit, car la nuit les images te frôlent pour rhabiller les ombres le long de tes contours ».

On se faufile dans la solitude, dans les cris pour la survie. On se relève doucement pour continuer à marcher, l’âme est brisée mais le corps veut continuer à vivre : « tu laisses tomber un pied au sol, l’autre se relève ».

Dans le monde de la nuit, il y a de l’espoir, Victor Hugo écrivait en accordant à l’obscur le privilège justifié « Chacun dans sa nuit s’en va vers la lumière » et Diderot disait « La clarté est bonne pour convaincre mais elle ne vaut rien pour émouvoir ».

La nuit sublime le sentiment, une forme de connaissance non rationnelle mais sensible, consentir à la nuit c’est aussi s’abandonner au « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

Penser, parler et partager la nuit, c’est penser la manière dont l’obscurité change ma perception, transforme mon rapport aux autres ou modifie mon expérience du temps.

La nuit, elle enveloppe, elle pénètre par tous les sens, elle suffoque les souvenirs, elle efface presque l’identité personnelle. « On consent à la nuit parce qu’elle est dénuée de témoins à charge ».

En étant moins regardé, on est aussi moins regardant. Le regard sur les autres devient plus indulgent, plus innocent, moins autoritaire. « La nuit est un lieu propice aux expériences égalitaires ».

Festives ou angoissées, solitaires ou violentes, la variété des situations de la nuit dessine l’appelant avec des couleurs spéciales de perception et de sensibilité : « Le jour a des yeux, la nuit a des oreilles » (proverbe persan).

« Je crois aux nuits » écrivait Rilke. L’heure du présent est la plus importante, celle où se concentre le saisissement de la « forme du jour » !

La ronde de nuit est virtuellement à la fois sur la tour du guet, au haut d’un phare, au bord de la route, sur un quai de gare, au bord d’un lit, etc.

Ouverte la nuit, cheminement, accompagnement vers la naissance d’un nouveau jour, un lendemain plus lumineux !

Le jour on vit, mais la nuit on aime, on aime écouter car loin du monde, du bruit, on ne se sent pas la même !

La nuit n’est jamais complète        Paul Éluard

La nuit n’est jamais complète. 
Il y a toujours puisque je le dis, 
Puisque je l’affirme, 
Au bout du chagrin, 
Une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée. 

Il y a toujours un rêve qui veille, 
Désir à combler, Faim à satisfaire, 
Un cœur généreux, 
Une main tendue, Une main ouverte, 
Des yeux attentifs, 
Une vie, la vie à se partager.

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Les bénévoles de La Main Tendue sont sélectionnés avec soin, puis ils suivent une formation de base qui débute avec trois week-ends. S’ensuivent des formations spécifiques et l’apprentissage de l’écoute sur plusieurs mois.

Les postes de Suisse romande, Genève, Lausanne, Sion et Bienne (bilinguisme exigé), forment en principe chaque année une volée de nouveaux bénévoles. Il est possible de déposer sa candidature tout au long de l’année.

Renseignements : www.143.ch/fr puis sélectionner Votre région. Le contenu de la formation figure sous l’onglet Participer/Devenir bénévole.

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Catherine Bezençon

Un parcours atypique et souvent autodidacte, faits de propositions de postes « vas-y, c’est pour toi ! », a amené Catherine Bezençon, assistante de médecin de formation, d’un poste de responsable marketing dans une société de placement de personnel spécialisée dans la finance, à la direction de Tél 143 – La Main Tendue en 2004. Depuis lors, elle participe avec passion au devenir du poste vaudois.

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