Répondre la nuit aux appels du Tél 143 est un défi vraiment exigeant à relever

Chaque bénévole met en place une stratégie qui lui convient pour être en forme avant de faire une nuit au 143 – sieste en fin de journée, cafés au pluriel, méditation, yoga, …

Et, pendant le service, les répondant·e·s vont essayer de somnoler entre les appels ou peiner à se rendormir après un appel lourd.

Il n’y a pas une nuit qui ressemble à une autre, mais rares sont les nuits avec peu d’appels. Certains appels ne présentant pas de situations véritablement urgentes pourraient sans autre attendre le matin ; cela laisserait ainsi de l’énergie pour répondre à des personnes angoissées ou victimes de violence ou encore, envahies par des pensées suicidaires.

Les répondant·e·s ont mis sur papier leurs pensées, leurs images, leurs découvertes de l’Autre. Ceci pour relever le défi de faire une nuit au 143 et peut-être faire sienne la stratégie des collègues, une fois par mois, être seul·e pendant huit heures au 143.

Voici trois témoignages :

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Faire une nuit au 143, c’est déjà y penser toute la journée. Je sais que ma nuit sera différente.

Un rituel s’est installé, après le souper, je m’isole une ou deux heures pour être juste en ma compagnie. Une manière de me recentrer pour aborder la nuit.

Mon mari me fait une verveine et me souhaite bon courage. Aurait-il lui aussi besoin d’un rituel pour préparer ma nuit au 143 ?

Dès le départ de la maison, je me transforme en veilleuse de nuit. Les lumières allumées aux fenêtres m’interpellent. L’ambiance cotonneuse du poste rend les voix douces plus douces, les colères et les douleurs plus violentes.

Il n’y a pas de parasites et il en résulte un partage de l’intimité particulier. Je ressens également une responsabilité importante face à l’appelant, dans la profondeur de la nuit.

Tous ces éléments sont à la fois attirants et troublants.

Quand je repars du 143, quelque chose s’est passé entre les appelants et moi qui me booste pour la journée.

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J’arrive au poste bien avant minuit, détendue, après avoir dormi quelques heures, la circulation sur l’autoroute était fluide. Le temps d’échanger quelques mots avec le collègue qui termine son service, je l’accompagne vers l’ascenseur et ferme la porte à clé. Ainsi je me sens “chez moi”.

Je prépare mon lit : ma taie d’oreiller, mon sac de couchage et, par précaution, je mets mon réveil à 7h30 (je n’aimerais pas que le collègue qui viendra me relayer demain matin me trouve endormie…).

La première partie de ma nuit ressemble à un service en soirée, les appels se succèdent à un rythme soutenu, les 2èmes lignes également. Est-ce qu’un programme de télévision vient de se terminer ?

Vers les deux heures, parfois plus tôt, parfois plus tard, l’atmosphère change subitement. Tout à coup, il n’y a plus d’appels et je suis entourée par le silence. C’est alors que me viennent des images :
• Je suis le guet et je veille sur la ville endormie, je protège le sommeil de ceux qui se reposent
• Je suis un phare, un guide pour les bateaux qui, en relais avec d’autres phares, leur permet de trouver leur chemin dans la nuit sans heurter les rochers
• Je suis le capitaine de ce bateau au long cours voguant vers des horizons lointains et s’orientant à l’aide des étoiles….

Je me sens alors solidaire de tous les gens de la nuit, faisant partie de cette chaîne humaine qui vit en décalage. Je suis à mon poste, je me sens à ma place, je suis bien…

Les bruits de l’immeuble me surprennent tout de même un peu. Habituée à vivre dans une maison familiale où je n’ai jamais peur, ils ne m’inquiètent pas vraiment mais je les trouve étranges…

Je somnole un peu, ou peut-être je m’endors plus profondément, et tout à coup “dring”. J’ai la chance d’être sur pied très rapidement et même si l’appelant me dit “Je ne peux pas dormir”, je suis prête à entrer en lien avec lui. Je sais par expérience qu’au milieu de la nuit, tout paraît plus compliqué et que les petits problèmes prennent de l’ampleur. Alors j’imagine bien qu’en cas d’insomnie, les appelants ressentent des angoisses et je suis justement là pour les accompagner, même si parfois je me sens un peu engourdie. Ensuite, j’ai la chance de pouvoir retrouver rapidement le calme, une respiration paisible qui me permet de somnoler à nouveau.

Par contre, si derrière le “dring”, il y a un appelant avec un problème difficile et très lourd, c’est comme si une douche froide me réveillait instantanément. Toutes mes facultés et mon potentiel d’émotions se mettent aussitôt en place, comme un puzzle dans un dessin animé. Et je sais qu’à la fin de l’appel, je n’aurai plus envie de dormir pour le reste de la nuit, je m’occuperai à lire, faire un jeu sur ma tablette ou dessiner en attendant les prochains appels.

Un peu avant 8 heures, quel plaisir d’entendre mon collègue arriver et de partager le petit déjeuner en bavardant avant de reprendre la route pour rentrer à la maison où je dormirai quelques heures…

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Je n’ai pas encore beaucoup de recul concernant les nuits de service.
Mais j’avoue que les nuits me faisaient « un peu peur »
Allais-je les supporter ? au niveau de la récupération surtout.
Et je me rends compte que oui et j’en suis moi-même étonnée…

Durant mes services de nuits, je me sens encore plus proche de l’appelant… pourquoi ?
L’enveloppement de la nuit ? peut-être…

J’ai aussi le sentiment que l’appelant se dévoile plus aisément que durant la journée… pourquoi cette impression ? Je n’ai pas encore trouvé la réponse.
Peut-être la même réponse qu’à la question précédente.

J’ai un petit « rituel » la nuit… Je suis un peu peureuse seule la nuit… Alors je prends toujours bien soin de fermer à clé la porte.

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Promis, juré, je partagerai d’autres témoignages avec vous.

Tél 143 – La Main Tendue, une ligne d’écoute qui respecte la confidentialité, l’anonymat et les valeurs de la personne qui y fait appel. Le service est gratuit, hormis la taxe de base prélevée par le fournisseur de téléphonie. Également en ligne par Tchat ou Mail avec pseudonyme sur www.143.ch

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Catherine Bezençon

Un parcours atypique et souvent autodidacte, faits de propositions de postes « vas-y, c’est pour toi ! », a amené Catherine Bezençon, assistante de médecin de formation, d’un poste de responsable marketing dans une société de placement de personnel spécialisée dans la finance, à la direction de Tél 143 – La Main Tendue en 2004. Depuis lors, elle participe avec passion au devenir du poste vaudois.

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