Voyage au cœur de ma vie

Voyager, tout le monde y a rêvé, ne serait-ce qu’une fois, s’envoler au loin vers l’aventure, découvrir de nouveaux horizons et sortir d’un quotidien morose et parfois pesant.

Avant que le destin ne me cloue dans un fauteuil roulant, ma vie était étroitement liée au voyage. Artiste itinérante, je me déplaçais d’une salle de spectacle à l’autre, mon chez-moi étant devenu le monde entier. L’accident a marqué un grand changement, à tous les niveaux, et mes nouvelles conditions de vie m’ont contraint à me sédentariser… momentanément.

À l’époque de ce grand tournant, j’étais prête à renverser tous mes principes et à devenir une nouvelle personne. Malgré mes efforts, je n’ai pas pu faire de moi autre chose que ce que j’étais et mes activités professionnelles et privées actuelles m’ont rapidement porté à voyager aussi souvent que par le passé.

Et pourtant, il y en aurait des facteurs pour me décourager : des valises lourdes et fréquemment encombrantes qu’il faut embarquer avec soi tout en étant incapable de les porter soi-même, l’inaccessibilité de beaucoup de lieux publics et le fait de ne pas savoir si loin de chez nous nous allons trouver une salle de bain accessible. Le fauteuil roulant est notre bagage premier et nécessaire. À cela se rajoute du matériel de soin pour assurer au quotidien la santé et le bon fonctionnement de ce corps handicapé. Et dans le cas des athlètes « sur roulettes » un engin de sport vient compléter la liste.

Compétitions, stages d’entrainement, conférences ou décorations, que ce soit lié au sport ou à ma profession, l’athlète élite que je suis ne peut pas se permettre de laisser son corps chômer plus de deux jours. Mon handbike est alors toujours avec moi et j’apprécie les bras forts de mon mari pour assurer le transport.

Que de pays visités, de montagnes gravies, de bords de mer sentis sur ma peau et avec tous mes sens ! Les voyages sont autant enrichissants qu’ils peuvent être épuisants. Lorsque d’autres rêvent de partir, je rêve parfois de pouvoir me poser quelques instants…

En ce temps où nous parlons de plus en plus d’écologie, je me pose d’ailleurs beaucoup de questions à propos des nombreux déplacements demandés aux sportifs qui veulent se mesurer à un niveau international. Une compétition en Italie cette semaine, au Canada la semaine suivante, puis de nouveau en Europe la fois d’après. Pour atteindre un objectif de sélection pour des championnats du monde ou des Jeux Olympiques, un athlète ambitieux est pris dans cette spirale. Soit il veut gravir les échelons et se plie aux exigences soit il se retire du sport de haut niveau. Un dilemme auquel la plupart des athlètes ambitieux répondent en mettant en priorité leur objectif de carrière.

Des solutions pour minimiser notre empreinte carbone ? Il y en a des plus réalistes aux plus utopiques. Et si, pour n’en donner qu’une, chacun d’entre nous recevait un « crédit pollution » ? Nous serions portés à repenser tous nos déplacements et notre mode de faire.
Plutôt que de partir en Australie en avion, nous partirions à vélo et en bateau, et plutôt que de revenir après deux semaines, le voyage nous prendrait quatre ans…

Peut-être devrions-nous nous poser plus souvent la question si nos objectifs sont dans le respect de notre planète en souffrance ou s’ils ne sont qu’un pur plaisir égoïste.

Une sage progression revient parfois à faire un pas en arrière. Ralentir cette course effrénée vers plus de productivité et plus de fortune et apprendre à apprécier les voyages au sein de son propre pays. Se servir de l’évolution de la technologie pour voyager virtuellement… voyager, rêver, s’évader. La vie et notre feu intérieur nous pousse toujours à aller plus loin et plus haut et je ne le regrette pas.

Et pourtant, cette éternelle course à la performance est aussi ce qui risque de pousser l’humanité a sa perte, en détruisant sa terre nourricière.
L’éternel devoir d’aller plus vite, plus fort, plus haut, porte à une grande réflexion. Est-ce véritablement ce que nous voulons ou bien nous a-t- on inculqué cela dès notre plus jeune âge ? À l’école, nous sommes jugés selon des notes, le premier de classe est primé, alors que le troisième ou quatrième s’est peut-être investi dans une démarche d’apprentissage beaucoup plus valable. Nous glorifions le résultat, pas l’investissement.

Le jour où l’humanité aura pris conscience à quel point elle détruit l’écosystème et combien son impact influence le dérèglement climatique, il ne suffira pas de changer de cap, il faudra revoir tous nos raisonnements.

Le marché de la compétition prendra un autre essor et certainement qu’il faudra accepter de baisser le rythme pour retrouver la qualité plutôt que la quantité.

Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir encore me déplacer, que ce soit avec les transports publics, mon vélo ou simplement mon esprit. Les personnes, cultures et situations rencontrées me stimulent et m’enrichissent. Ma vie est étroitement liée au voyage, mais j’ai choisi d’en prendre les commandes et de garder notre terre comme amie.

Gravir les cols alpins en handbike, traverser les lacs à la nage et observer le coucher du soleil… La paraplégie a l’avantage de me permettre de faire l’ascension des plus hauts sommets sans faire des milliers de kilomètres, car les plus grands accomplissements se trouvent au fond de moi-même.

 

 

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Silke Pan

Livre : A la conquête de nouveaux sommets, Editions Favre Une vie qui commence dans la lutte, Silke Pan se relève et de ses passions, elle en fait son métier. Artiste de cirque, elle travaille à travers toute l’Europe jusqu’au jour où une terrible chute du trapèze brise les ailes de l’acrobate. Paraplégique, Silke reprend son envol à travers le sport de compétition en handbike (vélo à bras). Grâce à sa collaboration avec l’EPFL pour le développement de l'exosquelette TWIICE, elle vit un miracle technologique. En 2020, un retour inattendu dans le monde de l'acrobatie et du cirque lui ouvre de nouvelles portes.